Au bord des blés

Les sorties de la ville avaient toujours semblé étranges à Amadäus. Jamais on ne savait très bien où étaient les frontières entre elle et la campagne. Les immeubles se transformaient en maisons, celles-ci s’espaçait de plus en plus, devenait entrecoupées par des champs. Ce n’étaient que lorsque l’on ne voyaient plus de maisons que l’on savait que nous étions hors de la capitale. Et à ce moment précis, Amadäus se trouvaient même à côté d’un champ de blé encore vert.

Il ôta sa veste de tissu foncée et la tint sur son épaule avant de continuer à marcher. La forêt se trouvait au but du sentier de terre qu’il empruntait – puisqu’un esclave ne peut rien avoir, il ne pouvait que l’emprunter. L’humain aux cheveux blancs s’arrêta et contempla le paysage qu’il avait sous les yeux. Les troncs paraissaient grandioses sous la lumière vive du soleil et la cîme devenait ainsi un tapis végétal. C’était là, l’expression de la grandeur de la nature. Nature qu’il se garderait bien de côtoyer de plus prêt. Il savait la forêt dangereuse et habité par des bestioles qu’il ne tenait pas le moins du monde à rencontrer. Par contre, il se sentait bien là. Le soleil lui chauffait agréablement le dos et il se sentait suffisamment las pour ne pas avoir l’envie de bouger.

Il fit quelques pas sur le côté et alla s’asseoir dans le champ sur le bord. Ce n’était pas la destruction de quelques tiges qui feraient la ruine de son propriétaire. En plus, elles s’en remettraient. Les plantes étaient plus solides qu’on ne le croyait. L’humain s’allongea donc sur le dos dans le blé, les mains derrière la tête. Seuls ses pieds pouvaient être vus de la route, à moins qu’on ne fût suffisamment grand.

Shinki et Shinji marchaient dans un des sentiers revenant de la forêt. Ils avaient fait une promenade pour discuter ensemble un moment. C’était pour eux une occasion de se voir, et ça s’était fait totalement par hasard. Ou alors Shinji avait un peu forcé le hasard en s’arrangeant pour passer devant chez son frère juste au moment où il sortait pour faire un tour. Aussi, comme les jumeaux allaient dans la même direction, ils avaient parlé un moment en marchant.

Shinji avait un rendez-vous avec une jeune fille non loin d’ici, et Shinki aimait se promener dans les endroits comme celui-ci. Le calme de la nature environnante était tellement plus agréable que le bruit de la ville.

Les deux frères allaient bientôt prendre des routes séparées. L’un pour rejoindre sa conquête du moment, l’autre pour rentrer chez lui. Shinji avait fait un grand détour afin de marcher un moment avec son frère.

« Bon, Shinki, j’y vais. »
« A bientôt, Shinji... »
« Et n’oublie pas ce que je t’ai dit à propos des esclaves ! »
« Hum... »

Shinji emprunta un chemin qui serpentait sur le côté, un sourire pervers sur les lèvres et son frère continua sa route. Il longeait les champs de blé, marchant tranquillement, sans se presser. Une fois de plus son frère jumeau l’avait épuisé. Toujours à critiquer ce qu’il faisait, ce qu’il disait, ce qu’il pensait. Bien sûr, il ne se gênait pas de faire la même chose, mais bon. Cette marche tranquille le rassérénait et il affichait un visage calme et détendu. Il faisait beau et doux, le temps était très agréable.

Alors qu’il marchait, il vit tout d’abord des pieds, puis, en s’avançant, il vit qu’un homme était allongé dans les blés. Il le regarda un instant, se demandant tout d’abord s’il était là car il avait eu un ennui. Puis, voyant sa position, calmement allongé sur le dos, les mains derrière la tête, Shinki se dit qu’il était un simple promeneur qui avait décidé de se reposer un instant.

L'instant s'arrêta soudain par un cri de colère :

"Cré bou diou ! Qu'est qu'tu fé à mon champ, salôpiaud ?"

Derrière le nouvel arrivant, un ange vêtu d'une salopette et d'une chemise à carreau courait droit vers le point de la plantation que comtemplait Shinki. Il tenait des deux mains, droit devant lui, une fourche à trois pointes qui servait habituellement à ramasser les blés fauchés. Le promeneur s'assit soudainement en entendant le cri de rage. On pouvait maintenant voir derrière les pans du col de sa chemise, le large collier de cuir qui marquait l'état de sa condition. L'humain regarda d'un oeil peu réveillé la source de ce hurlement qui l'avait réveillé. On le vit sursauter puis se lever rapidement dès qu'il comprit ce qui se passait. Plus précisément, dès qu'il eut aperçu ce triden à usage champêtre pointé vers lui.

Il tendit les bras en avant, paumes ouvertes en signe de paix et essaya de s'expliquer calmement dans un sourire un peu gêné :

"Eh ! Attendez, je vous l'ai presque pas abiméééééééééhhhhhh !!!!!!!"

L'humain venait de faire un saut de côté pour éviter la fourche. Le paysan ne considérait evidemment pas qu'il appartenait à quelqu'un d'autre et avait la justice facile. Aussi facile que les coups de fourche qu'il essayait de lui asséner. En sautant de ci de là pour échapper à son agresseur, Amadäus se cogna dans quelqu'un. Il s'écarta aussitôt sans faire plus attention puis, voyant l'occasion arriver décida de courir vers la forêt toute proche. Il s'arrêta bien vite. Une immense barrière de flamme se dressa devant lui. Il échappa de justesse à la brûlure et grimpa dans un arbre. Les origines de primates revennaient assez souvent aux humains en danger. Malheureusement, le fermier préféra cramer son pommier plutôt que de mettre de l'eau dans son vin. Sa proie sauta de justesse de l'arbre, se releva et commença à courir. Les quelques pas étant un peu boiteux.

Il sentait derrière lui la chaleur de plus en plus grandissante des flammes. Le feu devaient le rattrapper ! Devant lui, un type. Qui c'était ? Il s'en foutait complètement mais il alla se cacher derrière lui en demandant d'une voix un peu tremblante et énormément essouflée :

"S'il vous plait, aidez-moi !"

Il ne voyait pas d'autres solution pour se sortir de ce guëpier que de demander de l'aide. Il n'avait absolument pas envie de terminer en poulet rôti. Il n'avait rien sous la main. Ni lance à eau ni dynamite, même pas un arrosoir ! Et les flammes étaient plus rapides que lui.

Le calme de la nature fut vite rompu par un cri. Un type arrivait en courant, criant, une fourche à la main. Shinki s’écarta légèrement, regardant la scène d’un air neutre.

Son frère, et maintenant des flammes et un type qui venait de se cacher derrière lui en lui demandant de l’aide. Pour une promenade tranquille, il avait fait fort aujourd’hui. A première vue, l’homme était un esclave, mais Shinki se fichait complètement de ce détail. Pour lui, ce n’était pas ça le plus important. Pour le moment, il s’agissait des flammes qui s’approchaient d’eux. Que faire...

Il soupira légèrement, calme, et, restant devant l’inconnu, il ferma les yeux. Une aura puissante se dégagea de lui et se dirigea vers les flammes. Cela fit le même effet que si l’on combattait le feu par le feu. Les flammes arrivant du champ ne purent plus grandir et s’éteignirent d’elle-même.

Shinki n’en revenait pas. Il avait utilisé ses pouvoirs comme ça, sur le coup. Qu’est-ce qui lui avait pris ? Oui, c’était sur, il s’agissait d’un réflexe qu’il avait eu à cause de ses frères. Et puis, il n’y avait pas vraiment d’autres solutions. Il se retourna vers l’individu qui venait de se réfugier derrière lui et lui demanda calmement :

« Vous allez bien ? »

Question somme toute plus que banale, certes, mais que dire d’autre pour lancer la conversation ? Tout en posant sa question, il détailla brièvement l’inconnu du regard. Il ne l’avait jamais vu, du moins, pas à sa souvenance. En même temps, il n’avait jamais vraiment fréquenté les esclaves.
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Amadäus s'accrochait à une manche passant une tête timide pour voir ce qui se passait. Et ouvrit de grandd yeux. Les flammes s'étaient arrêtée et semblaient combattre quelque chose d'invisible. Amadäus sourit. Il avait un pot monstre. Il aurait pu tomber sur un démon qui savait péter par les oreilles, éternuer avec son nombril ou faire fondre le métal mais non, il était tombé sur quelqu'un d'utile ! L'humain adressa une petite prière mentale à son dieu pour le remercier de ce heureux hasard. Alors que les flammes s'étouffaient définitivement, la manche bougea et son propriétaire se retourna. Amadäus leva les yeux, bouche entrouverte puis se redressa pour lui répondre.

"Oui, ça vattention !!!!"

Il se précipita sur l'étranger et le plaqua au sol façon rugby. Il sentit l'air chauffer non loin. Le fermier avait lancé un autre jet de flammes. Un peu appeuré, il lui gueula dessus en le saisisant par les pans de sa chemise et en le secouant un peu :

"Mais vous l'avez pas abbatu ? Z'êtes complètement malade !"

Il releva soudainement la tête et de sa bouche sortit un nouveau cri. Agrippant plus fort pour emmener le démon avec lui, il se laissa tomber sur le côté et roula au sol. Les rôles étaient maintenant inversés : l'humain était sous le type à lunettes. Amadäus le lâcha tout en s'égosillant :

"Mais bon sang ! Cramez le ! Qu'est ce que vous attendez ? Qu'on crève ?"

Amadäus leva les yeux et eut la vision du fermier et de sa fourche aux bouts incandescants pointée sur eux. Et à l'envers, vu qu'il était dos au sol avec ce type au dessus de lui. L'humain essaya de se dégager en vitesse mais était un peu coincé par son compagnon d'infortune.

Shinki fut plaqué au sol avant d’avoir eu le temps de dire quoi que ce soit. Le fermier avait attaqué en lançant un jet de flammes. L’inconnu cria sur Shinki qui soupira, las.

« Je ne vais pas l’abattre comme vous dites... »

Après tout, il n’avait pas à tuer toutes les personnes qu’il allait croiser, même si ces dernières attaquaient. De toute façon, le fermier était chez lui, dans le champ. Même s’il ne devrait pas attaquer les promeneurs comme ça. Puis l’inconnu roula avec Shinki et le démon se retrouva sur lui. Le fermier se rapprochait. Shinki se releva et lui fit face.

« Calmez-vous, je vous prie... »

Il n’eut pas le temps d’en dire plus qu’un jet de flamme jaillit. Shinki le para à coup d’aura destructrice. Ca commençait à bien faire. Il s’approcha du fermier et empoigna sa fourche.

« Je vous ai dit de vous calmer. »

Il avait parlé d’un ton calme, lentement, sans hausser la voix. Son ton était bien trop calme. Tellement calme que c’en était dangereux. Et le fermier le sentit. Il arrêta de lancer des flammes à tout bout de champ et regarda Shinki droit dans les yeux. Le démon soutint son regard, sans montrer une once de colère. Un regard tranquille et calme. Un très léger sourire se dessina sur ses lèvres. Le fermier fronça les sourcils, l’air toujours de mauvaise humeur et détourna le regard de Shinki pour le fixer sur l’inconnu. Il s’apprêtait à parler lorsque Shinki soupira et prit la parole.

« C’est vous qui avez commis le plus de dégâts dans votre champ, mais pour que cette histoire se termine au plus vite, voila ce que l’on va faire. »

Il sortit quelques pièces de sa bourse qui était attachée à sa ceinture, juste de quoi rembourses symboliquement le dérangement et les quelques épis de blés que l’inconnu avait écrasé en s’allongeant dessus. Le fermier fronça les sourcils, s’apprêtant probablement à protester et à trouver cela insuffisant. Mais Shinki ne lui en laissa pas le temps.

« A présent, je vous conseille de ne plus vous présenter devant moi si vous ne voulez pas avoir d’ennuis avec la famille Ikkaya. »

Il avait parlé d’un ton uni et calme. Ce n’était pas dans ses habitudes de proférer des menaces, mais là, il n’avait vu que cette solution pour régler au plus vite le problème. Et puis, ce n’était pas des menaces en l’air. Si on lui cherchait encore des problèmes, il ne se laisserait pas faire. Et il ne serait pas le seul Ikkaya à prendre ce fermier en grippe. Shinji serait sans doute le premier, et les autres suivraient.

Le fermier écarquilla les yeux au nom de Ikkaya et Shinki soupira légèrement.

*Il me prend probablement pour mon frère...*

Le type se releva au dessus de l’humain. On pouvait bien voir là qu’il s’agissait d’un homme qui avait confiance en ses pouvoirs. Même sous la menace de se faire transformer en brochette, ses gestes étaient pondérés, parfaitement maîtrisés. Il s’approcha du fermier pendant que l’esclave derrière se retournait et commençait à s’accroupir pour se relever. Il n’eut le temps que de voir une flamme s’approcher de lui, il plongea sur le côté et s’étala dans la poussière non loin des premières gerbes de céréales. La parade du non-humain n’avait pas tout calculé.

Amadäus se mit debout et son regard croisa celui du fermier. Ne sachant quoi trop faire, il soutint ce dernier jusqu’à ce que le paysan reporte son attention sur le type à lunettes lorsque celui-ci parla. Amadäus haussa les sourcils d’étonnement. Il le payait ? C’est pas commun, ça. Ce gars devait être du type intelligent et pas trop barbare. Une catégorie de démon qui, malgré ce que l’on pensait, s’avérait plus dangereuse que les bourrins de premier ordre. Puis avant que le fermier ne proteste, il le menaça.

Amadäus comme leur agresseur eurent la même réaction, ils ouvrirent de grands yeux ronds. Puis le fermier posa le bout du manche de sa fourche par terre et se campa sur ses jambes avant d’annoncer d’un ton bourru :

« Et alors, mon p’tit gars ? Tu crois qu’ça va me faire peur ? Mon champ y vaut pas c’que tu m’as donné ! Mais viens z-y avec tâ famille ! Ch’rais là pour vous z’attendre ! »

Amadäus sourit. L’inconnu aux cheveux noirs avait sous-estimé les mœurs paysannes. Ce gars devait dompter la nature pour survivre, ce n’était pas un citadin qui allait lui faire peur. Et puis il fallait dire qu’Amadäus n’avait jamais entendu parler d’un quelconque fait d’arme d’un Ikkaya alors la menace devait sonner encore plus creuse pour un fermier qui n’était pas au courant des potins de la capitale. Néanmoins, l’attitude du démon avait calmé le fermier qui se repartit en maugréant :

« T’auras d’ mes nouvelles, toi et ton putain d’esclave ! »

L’esclave en question regarda assez longtemps le dos jusqu’à ce qu’il estime qu’il soit assez loin pour ne plus craindre de se faire rôtir. L’esclave regarda alors le libre restant et recula la tête, pas très rassuré non plus. Les démons qui savaient se servir de leur caboche étaient les pires. La preuve tenait en les personnes de Quimn et Prïam.

« Euh…Merci ? Je… Enfin, comment dire ? Voilà, désolé de vous avoir pris à partie. J’espère que ça ne vous a pas trop... dérangé ? Monsieur Ikkuya, c’est ça ? »

Là, traditionnellement même avec un démon calme, il pouvait prendre le risque d’avoir des ennuis et de se prendre une baffe en punition. Il avait beau être vêtu d’un costume de fabrication coûteuse – quoiqu’il fût là, un peu froissé et poussiéreux – son collier indiquait bien qu’il n’avait pas grands pouvoirs.

Bon vraisemblablement, le fermier n’avait pas entendu parler de la famille Ikkaya. Shinki soupira mentalement. Son frère lui, se serait énervé et aurait détruit ce qui restait. Enfin, ce n’était pas grave, le principal était qu’il soit parti. Shinki ne précisa toutefois pas que l’inconnu n’était pas son esclave, cela n’aurait fait que rallonger une conversation qui n’en valait pas la peine. Après tout, ce n’était pas très gênant. Et puis l’autre ne se formaliserait sans doute pas de l’erreur du fermier. Et si c’était le c’était le cas, et bien, tant pis.

Shinki regarda le fermier s’éloigner pour être sûr de ne pas se prendre un nouveau jet de flammes au cas où il décide de ne pas en rester là. Il valait mieux être prudent. La silhouette disparut au bout d’un moment et Shinki se retourna vers l’esclave qui venait de le remercier en l’appelant... Monsieur Ikkuya... Shinki corrigea d’un ton calme, sans s’offenser de l’erreur. Après tout, l’autre ne le connaissait pas et n’était pas censé connaître son nom, il n’allait pas se formaliser pour cette légère erreur. Ce n’était pas très important.

« Ikkaya... Shinki Ikkaya. »

Ca lui faisait étrange de se faire appeler « monsieur Ikkaya », toutefois il ne le montra pas, affichant un calme impassible sur le visage. Ca faisait longtemps qu’on ne l’avait pas appelé comme ça. Il n’avait plus tellement l’habitude d’être appelé par son nom de famille depuis qu’il avait déménagé. Sauf lors des rares fois où il était avec sa famille dans des réceptions. En fait, il voyait rarement des gens, de toute façon, donc ce n’était spécialement le fait qu’on l’appelle par son nom de famille qui changeait quelque chose...

« Ce n’est rien, je suppose que tout le monde aurait agi comme vous. Le principal est que vous n’ayez rien de grave. »

Il tendit la main à l’esclave, lui adressant un sourire calme, et ajouta :

« Comment vous appelez-vous ? »

Amadäus se redressa, complètement surpris. Puis un grand sourire s’empara de lui et il prit la main et la serra d’une poigne ferme mais pas trop. Un peu comme le camembert au final… Il paraissait qu’ainsi cela voulait dire qu’on ne se montrait pas trop coulant sur les formes –comme le camembert là aussi. Tout dépendait de l’âge de ce dernier… Mais justement, Amadäus était jeune.

Arrêtant là ses considérations à caractère crémier, l’esclave répondit :

« Herr Amadäus Weisser. Ravi de faire votre connaissance… D’autant plus que voir des gens prêter un peu de considération à des humains sont rares. Trop à mon goût, monsieur Ikku, pardon, Ikkaya. »

L’humain lui lâcha la main et s’écarta un peu. Depuis le temps qu’il revendiquait qu’il était aussi égal que les autres, se voir traiter en tant que tel lui faisait presque bizarre. Une fois de plus, il se disait qu’il était temps de faire quelque chose pour les humains. Et Maât l’aiderait. Et peut-être que…

«A moins, si vous me permettez, que vous ne soyez de ces ‘sympathisants’… »

Il avait mis les pieds dans le plats mais après avoir enfilé des chaussures aseptisées. En effet, il avait agrémenté son assertion d’un sourire et d’un ton qui pouvait signifier aussi bien du mépris envers les sympathisants si jamais il ne l’était pas que de l’encouragement s’il l’était

L’humain semblait vraiment étonné de la question et sourit en serrant la main de Shinki. Le démon lui rendit calmement son sourire, et l’humain se présenta sous le nom de Herr Amadäus Weisser.

« Enchanté de faire votre connaissance »

Le démon avait parlé calmement, plus par formalité qu’autre chose, mais il était réellement content de faire la connaissance de l’humain. Finalement, c’était intéressant de rencontrer des gens, de sortir de chez lui... En fait, ce qu’il n’aimait pas c’était les réceptions pompeuses.

Puis l’humain lui demanda s’il était un ‘sympathisants’. Pendant un instant, le jeune démon resta sans répondre, surpris par la question. Un sympathisant... Un sympathisant à quoi ? Il n’en avait pas la moindre idée. Peut-être à la cause des humains, ça ira assez bien dans le contexte, mais bon...

*Il faudrait que je sorte plus souvent, moi*

Bon, maintenant, il avait plusieurs solutions : changer de sujet, ignorer la question, s’en aller, ou dire qu’il ne savait pas de quoi l’autre parlait. Avec son frère, il aurait fait la première, avec des gens pompeux probablement la seconde, avec des gens qu’il n’appréciait pas et qui lui rendait bien, il aurait fait la troisième. Donc, la quatrième ? Non, seulement si Amadäus lui posait d’autres questions. Il se contenta d’une cinquième solution, pour éluder le sujet.

« Hum... »

Il avait prononcé ce son d’un ton calme, limite mystérieux, qui pouvait s’interpréter de toutes les façons possibles. On pouvait aisément croire qu’il faisait partie des sympathisants.

Amadäus avait un instant détourné son attention du dénommé Ikkuya, pardon, Ikkaya. Il avait en effet cru apercevoir une sombre silhouette paysanne se rapprocher dans le lointain. Mais un "Hum..." vint dans le vent, rompre le gazouillement des moineaux. Amadäus recula d'un pas et contempla avec incompréhension ce démon. Hum ? Qu'est ce que cela voulait dire 'hum' ? L'humain n'osa pas demander des explications. Cela restait un démon tout de même. Pour un peu qu'il le froisse, il se verrait transformer en chair à saucisse. Ou pire... Un souvenir d'une chambre d'hôtel avec un démon aux yeux de feu lui passa devant les yeux et il sentit un frisson de dégoût lui remonter dans la colonne vertébrale. Il ne put s'empêcher de reculer d'un demi pas.

Les oiseaux qui avaient repris leur joyeux pépiements ne parvinrent pas à lui faire oublier la sensation du silence pesant qui suivit. Le chiot de la Prïam ne savait pas vraiment quoi dire. Ce démon trop calme lui semblait de plus en plus suspect. Pourtant, il n'osa pas partir et lui tourner le dos. Il lui faisait peur certes mais si... Si jamais c'était un sympathisant ? Il avait l'âir d'avoir du pouvoir ! Autant par ce machin avec lequel il avait étouffé les flammes mais aussi par le fait qu'il avait mentionné son nom au paysan pour réfréner son aggressivité. Et si c'était quelqu'un d'important ? Une pensée fit retomber un instant son enthousiasme. Lui qui essayait pourtant de se tenir au courant du potin mondain des immortels n'avait jamais entendu parler de ce nom auparavant. Etait-il aussi puissant qu'il le disait ? Ses yeux reprirent une étincelle de joie : finalement il connaissait le sujet sur lequel parler pour rompre ce pesant silence :

"Et donc... Monsieur Ikkaya, vous disiez ? Votre famille n'a t-elle pas une quelconque relation avec les Sanfer ?"

Les Sanfer ? Il ne les connaissait que parce qu'il s'agissait d'une petite famille possédant une grande partie de l'industrie textile de la ville. Il n'avait jamais entendu parler d'une relation quelconque entre les deux. Ce nom avait été le premier qui lui était passé dans le crâne. Et puis il ne voyait pas trop comment demander quelle était la puissance de sa famille, ça aurait pu le vexer. Et l'épisode du fermeier le lui avait montré, c'était dangereux de froisser un non-humain.

Le silence était retombé entre l’humain et le démon. Après tout, ils n’avaient pas grand-chose à se dire. C’était un étrange concours de circonstances qui les avaient fait se rencontrer, mais la situation s’était calmée. Soudain, l’humain recula d’un demi-pas. Il avait peur, là ? De Shinki ? Non... Comment on pouvait avoir peur de ce type ?! Shinki était un démon gentil. Il n’était ni violent, ni cruel. Le contraire de son frère. Enfin...

Au bout d’un moment, l’humain demanda au démon si sa famille avait un lien avec la famille Sanfer. Sanfer... La famille qui possède la moitié de l’industrie textile de la ville ?
Un lien... Pas de sang en tout cas. Du moins depuis une période proche de celle-ci. Parce que bon, dans la famille, il y avait quelques zones floues par endroits. Peut-être que les Ikkaya avaient un lien lointain, mais ce n’était pas capital. Il n’allait pas non plus s’amuser à retracer un arbre généalogique de sa famille, pour répondre à cette question.
D’ailleurs, quel était le but de cette question ? L’humain voulait sans doute connaitre le niveau ou la puissance de la famille Ikkaya. C’était tout à fait légitime de demander cela, après tout. La famille de Shinki n’est pas particulièrement haut placée dans la hiérarchie, mais certains membres ont une assez grande influence. Surtout son frère Shinji, qui a de fortes tendances à trainer dans les milieux... comment dire.... pas les mieux fréquentés, et qui s‘est fait une réputation.

« Nous entretenons quelques rapports commerciaux, en effet... »

Après tout, la question ne portait pas uniquement sur les relations au sens des liens du sang. Il y avait des relations purement économiques ou commerciales.

Bon, maintenant que l’humain avait sa réponse, c’était peut-être à Shinki de prendre une initiative. Sinon, il allait subir un interrogatoire qui risquait de durer pas mal de temps. Enfin, pas que ça le dérangeait particulièrement. Et puis, de toute façon, il ne voyait pas trop quoi demander à l’humain. Il n’avait pas vraiment l’habitude de parler aux esclaves humains. Même si, bien sur, il ne les considérait pas comme inférieur. C’est juste qu’il ne savait pas trop quoi dire. D’ailleurs même avec les démons, c’était pareil, en fait.
Il se voyait pas demander « quel est le dernier livre que vous avez lu ? » ou quelque chose du même genre !

Okay. Bon, il ne fallait pas insister. Là, Amadäus avait parfaitement compris le message. Il s'était certes planté la première fois mais il n'était pas stupide. Une fois il pouvait se tromper mais certainement pas la deuxième. Il avait vu la puissance du pouvoir de ce démon. Il avait compris que c'était un démon d'une famille puissante, bien qu'il n'en ait jamais entendu parler. Il se méfiait des coups de tête de la part des démons, enfin, il se méfiait tout court des démons. Bref, beaucoup de méfiance et le caractère laconique de l'autre lui faisait bien comprendre la chose. Il avait donné son nom, si sa famille était si puissante, il serait à même de retrouver le nom de sa maîtresse et d'aller lui demander des comptes pour avoir sauvé son esclave. Ce Shinki savait tout ce qu'il avait à savoir et maintenant le chiot de la Prïam était de trop.

"Bon, et bien... Au revoir alors, monsieur Ikkaya."

L'humain s'inclina prestement -après tout, il lui avait quand même sauvé la vie ou au moins un séjour à l'hôpital section des grands brûlés. Il l'avait peut-être tout simplement sauvé de l'achat d'un container de biaphine mais en tout cas, c'était grâce à lui qu'il était sain et sauf. Bref, il avait le droit à un minimum de reconnaissance. L'humain s'éloigna alors retournant vers la ville. Cet épisode lui avait coupé tout envie de promenade...

La réponse de Shinki sembla éveiller ou du moins accentuer la méfiance de l'humain. C'était malin, franchement. Pourtant le démon ne lui voulait aucun mal. Il ne voulait aucun mal à personne d'ailleurs. Même le fermier qui s'en était également pris à lui, il ne lui avait rien fait. Mais après tout, Shinki n'avait fait que dire la vérité. Il n'allait pas lui mentir pour gagner un peu sa confiance, cela aurait été stupide. Probablement la pire chose à faire, car lui mentir aurait été trahir le peu de confiance qui aurait pu naître.

Amadäus s'inclina alors légèrement, saluant le démon. Il allait donc partir. Ce qu'il fit, en se dirigeant vers la ville. Shinki aussi y allait, alors se séparer maintenant n'aurait pas été très malin. Ils se seraient ensuite suivis sur le reste du chemin. Le démon rattrapa donc l'humain en un rien de temps et lui dit :

"Autant faire un bout de chemin ensemble, non ?"

Il lui sourit calmement, et son regard était sincère. Il n'avait aucune mauvaise attention. Il voulait juste faire un bout de chemin avec lui. Il regarda calmement l'autre homme et hésita. Il voulait mettre les choses au clair avec lui, lui dire qu'il n'avait pas à avoir peur de lui, mais bon, lui dire "vous savez, vous n'avez pas à avoir peur de moi..." ce n'était pas la meilleure chose à faire. Ce n'était déjà pas subtil, mais en plus, ça ne mettait pas vraiment en confiance...

"Vous allez à la ville ?"

Il avait demandé cela d'un ton calme, le ton de la conversation. C'était d'ailleurs surtout pour lancer une conversation, en posant une question simple. Il y avait de grandes chances pour que la réponse soit affirmative, mais la probabilité n'était pas absolue. En passant par ce chemin, on pouvait dévier plusieurs fois. Il n'y avait pas qu'une seule route, une seule destination dans cette direction.

Si Amadäus ne voulait pas répondre à cette question, rien ne lui empêcherait ne la mettre de côté par un simple "hm" comme Shinki l'avait fait plus tôt, lorsqu'il n'avait pas trop su quelle réponse donner.

Amadäus sursauta lorsque le démon l'interpella une nouvelle fois. Il ne put s'empêcher de porter la main à son coeur. Il était déjà en plein dans ses pensées en train de noter sur sa liste interne qu'il fallait qu'il se renseigne sur ces fameux Ikkaya si célèbre et puissants dont il n'avait pourtant jamais entendu le moindre mot. Sa voix l'avait réveillé. Il répondit à la limite de l'insolence, plus parce qu'il ne s'était pas encore bien remit de ses émotions que parce qu'il voulait lui causer du tord :

"Faire un bout de chemin ensemble ? Et bin ! Ne vous gênez pas ! Invitez-vous ! Je vous dirais rien ! Vous m'avez sauvé de l'autre timbré d'abruti de connard de petit con de démon, vous avez bien le droit de pourrir mon air, y'a pas de problème !"

Il avait fait de grand gestes, quelques corbeaux s'envolèrent, effarouchés, quelque brins de paille dans le bec. Seul leur cri rompait le silence. Il semblaient fuir l'orage, aller se réfugier sous les arbres pour éviter la pluie de la colère de l'humain. Un esclave qui se posait des questions. Pourquoi ce démon qui n'avait pas semblé vouloir le voir, il n'y avait pas deux minutes à peine, voulait désormais se joindre à lui ? Un démon ! En plus qui avait un pouvoir si puissant, un pouvoir qu'il ne comprennait pas qu'il n'arrivait pas à définir. Il le regarda du coin de l'oeil pour le juger rapidement. Non, ice type n'avait plus rien à ses yeux d'un sympathisant.

En réalité, il aurait pu l'être mais Amadäus était trop borné pour vraiment vouloir l'admettre. Il était vexé d'avoir montré qu'il avait eu peur, il était vexé également de lui devoir la vie, la reconnaissance était partie dès que ses pieds avaient quittés le sol sous la frayeur qu'il lui avait causé en revenant. Un démon ! Il serrait les dents, celles-ci grinçaient l'une contre l'autre. Il n'avait qu'une envie : celle de lui sauter dessus pour lui apprendre à vivre ! Ou plutôt à mourir. Intérieurement, l'humain se rappetissait comme le faisait un chat à l'affut, prêt à bondir ! Dans un pas, encire un pas et il

"Vous allez à la ville ?"

A nouveau Amadäus sursauta. Il l'avait interrompu dans cette montée de haine qui lui venait, n'en amenant qu'une autre plus grande encore. Il s'arrêta et grogna :

"Pourquoi ? Ca vous pose un problème ? Y a què'que chose qui va pas ? Ca vous gêne peut-être d'entrer dans les murs accompagné d'un esclave, vous un si graaaaand représentant de la noble et ilustre inconnue famille Ikkaya ?"

Si l'humain avait eu un peu de recul, il s'en serait certainement donné des baffes. Mais voilà, Amadäus était quelque part, un abruti fini incapble de contrôler sa haine.

L’humain ne sembla pas apprécier que le démon le rattrape. Il commença à s’énerver, en faisant des grands gestes qui firent fuir les corbeaux. En le rattrapant, Shinki n’avait pourtant pas eu de mauvaise intention. C’était simplement histoire de parler un moment avec lui et de faire la route ensemble, plutôt que de le suivre bêtement. Mais cela n’avait pas l’air de plaire à l’humain. Amadäus avait changé du tout au tout. S’il n’avait pas été là pour le voir, Shinki n’aurait pas cru qu’un instant plus tôt, l’esclave s’était caché derrière lui, de peur, et lui avait demandé de l’aide.
Pendant un instant, une fraction de seconde à peine, l’image de Shinji, le frère de Shinki, s’était superposé à celle de l’humain. Shinji était du genre à se vexer facilement, et quand il avait des problèmes, il demandait de l’aide à son frère. Et juste après, il était vexé et irascible. Si les corbeaux avaient eu peur des grands gestes de l’humain, le démon, lui, n’était pas impressionné. Malgré ce qu’on pourrait croire en le voyant, il était habitué à ce genre de comportements et d’attitudes, et il s’était pris plus d’un coup.
L’humain devait probablement être vexé de s’être montré faible devant le démon. Shinki le regarda calmement déballer tout ce qu’il avait envie de déballer, puis il soupira légèrement, se maîtrisant pour ne pas faire autre chose. Voila, se calmer, se détendre, et faire comme si l’humain ne lui avait pas crié dessus.

Il lui demanda alors calmement s’il allait en ville. Une question simple, sans répondre à la violence verbale par de la violence verbale. Ca aurait pu désamorcer le conflit, mais non. L’humain s’énerva davantage. Il s’en prenait à présent directement à Shinki et à sa famille. C’était d’un stupide. Shinki soupira, agacé et regarda l’humain droit dans les yeux.

« Vous feriez mieux de vous calmer... »

Shinki commençait à en avoir marre. Il respira calmement, pour terminer d’évacuer la tension de ses veines et regarda l’humain d’un air un peu las. C’était toute la reconnaissance qu’il avait alors ? L’humain ne croyais pas que le démon pouvait respecter l’humain, qu’il se fichait complètement qu’il soit un esclave ? Shinki s’en sentait un peu déçu. Il soupira légèrement, ce qui acheva d’évacuer sa colère. Son énervement était retombé, il ne restait plus que de la déception. Mais il pouvait tout de même s’énerver d’une minute à l’autre.

Il leva la main calmement et la posa sur l’épaule de l’humain. Son regard était calme, presque doux. Il regardait toujours l’humain dans les yeux. Shinki répondit alors à sa question, même s’il savait très bien qu’elle n’attendait pas forcément de réponse et qu’elle avait été prononcée sous le coup de l’énervement, voire même de la colère ou de la haine.

« Aller en ville avec vous ne me dérange absolument pas, au contraire. »

Il essayait de se montrer calme et gentil, peut-être l’humain se calmerait-il aussi...

Amadäus sentit cette main sur son épaule. Un main de démon. A nouveau la même image repassa devant ses yeux, celle d'un autre démon aux yeux rouge grâce auquel il avait passé un des plus mauvais moments de sa vie. La voix tranquille et engageante sur laquelle Shinki s'adressa à l'esclave acheva de lui foutre une trouille totale. Il s'écarta violemment pour se dégager de cette main.

"Et si moi, ça me dérange connard ??? Ne me touche pas, espèce de sale bâtard dégénéré !!"

L'humain ne doutait plus désormais du double jeu du démon. Il l'avait sauvé pris dans le feu de l'action, et c'était le cas de le dire, puis s'était suffisamment renseigné pour prendre paiement de son sauvetage soit auprès de sa maîtresse soit directement auprès du chiot de la Prïam. C'était pour cela qu'il le suivait. Avec Quimn et Prïam, la preuve était faite que les démons les plus calmes étaient les plus vicieux et qu'il fallait s'en méfier comme la peste. Cet Ikkaya n'était certainement pas un sympathisant mais un calculateur.

Et un calculateur qui le suivait. Amadäus n'aimait définitivement plus la campagne. Il n'y avait personne ici. Sans témoins, les non-humains n'avaient plus aucune limite concernant leur comportement envers les esclaves. Amadäus aurait voulu s'en débarasser, éliminer cette crainte. Il aurait pu s'incliner, se montrer humble et ne pas l'insulter mais il n'y réussirait jamais. Sa haine envers ses esclavagistes était bien trop grande. Cependant, il se méfiait également du pouvoir de cet Ikkaya. Lui qui s'était déjà éloigné pour s'arracher de cette étreinte recula de quelques pas, comme s'il retournait vers la campagne mais sans sarrêter de fixer Shinki de son air aggressif et arrogant :

"Si tu veux y aller, ordure menteuse de mes deux, je te laisse y aller. Dégage de mon chemin, tafiole !!"

Il y avait plus consensuel mais l'humain n'était pas spécialisé en politique. Et sous la rage, le mensonge n'était pas sa spécialité.

Lorsque le démon posa sa main sur l’épaule de l’humain, voulant le calmer, celui-ci se dégagea en s’écartant violemment. Ce n’était pas vraiment l’effet escompté ! Shinki soupira légèrement, regardant l’humain avec calme. Les cris et les insultes comme marque de la peur, comme masque de ses faiblesses, pour dissimuler ses sentiments, Shinki connaissait, il en avait souvent fait les frais, avec son frère jumeau. Shinji était du genre à s’emporter pour des broutilles, mais également, il s’énervait quand il avait peur, même s’il refusait de l’admettre. Enfin, il fallait vraiment bien le connaitre pour savoir qu’il avait peur.

L’esclave se montrait arrogant et agressif, tout en reculant légèrement. Shinki en était certain, Amadäus avait peur de lui. Pourtant, ce n’était pas du tout ce qu’il avait voulu. Décidemment... Arriverait-il à se rattraper ? Il soupira, il ne savait pas vraiment quoi dire à l’humain pour effacer cette crainte qui les séparait à présent. Il n’avait pas voulu ça, il s’était pourtant montré calme et sincère, depuis le début, et il l’avait aidé... il lui avait pratiquement sauvé la vie, en fait.

Bon, si ça avait été son frère, en face, qu’est-ce que Shinki aurait fait ? Tss, stupide exemple, Shinji n’avait pas peur de son frère. Il passait son temps à se moquer de lui, à plaisanter. Quand ils étaient gamins, c’était différent, mais bon, on ne pouvait pas vraiment comparer deux époques. Surtout avec des situations aussi différentes l’une de l’autre. Une fois de plus, en fait, Shinji était complètement inutile. Le pauvre, qu’il soit là ou pas, il est d’une inutilité faramineuse...

Shinki n’avait pas bougé, il regardait calmement l’humain, cherchant ce qu’il pourrait faire ou dire pour (re)gagner sa confiance. Par son attitude, il pouvait à la fois appeler à la confiance et à la méfiance. En effet, il était calme, mais peut-être trop calme pour certains. Et puis, le fait qu’il soit un démon, et l’autre un esclave humain, ça créait tout de même un sacré fossé entre eux, même si Shinki en faisait complètement abstraction. Si ça se trouvait, en fait, l’humain avait peut-être simplement peur que le démon le dénonce à son maître ou à sa maîtresse. Il avait peut-être peur d’avoir des problèmes à cause de ça. Peut-être en plus n’avait-il pas eu l’autorisation de sortir.

Shinki soupira légèrement.

« Amadäus... calmez-vous, je ne vais rien vous faire... »

Ouaiiis, génial comme phrase. Tu parles que l’autre va avoir confiance. T’es un as, Shinki, franchement. Bon, que rajouter, après dans de platitude ? Dur à dire. En même temps, si Amadäus ne cherchait pas à mettre autant de distance entre eux, le dialogue se (re)nouerait plus facilement. D’un autre côté, s’il ne cherchait pas à mettre autant de distance, et bien, cela voudrait dire qu’il n’avait pas peur, ou, du moins, moins peur de Shinki, et dans ce cas, pas besoin de chercher à renouer le dialogue.