Quelle déchéance !

Cela lui faisait toujours bizarre. Une cage dorée. C'était ce dans quoi il était. Et il avait sous les yeux les cages non dorées. Celles dont il était sorti pour aller se retrouver dans la plaquée or. Il se souvenait des coups de fouets du chantier, des brimdes des divers propriétaires et il se sentait légèrement masochiste à se prendre à penser qu'il préférait cela à ce q'uil subissait maintenant. Il persistait à croire qu'il était plus facile de se battre contre son sort quand on se faisait battre plutôt que quand on était bien traité.

C'était pour ne pas oublier qu'il était venu se "ressourcer" ici. Une source malsaine de malheur et d'esclavage. Il voyait des humains décharnés sans volonté ou sans vie. Il en viendrait presque à plaindre les non-humains. Presque. Il n'oubliait pas non plus que tous ces humains entravés, ce cuir autour de son cou était de leur faute. Et s'il étaient assez barbares pour oser mettre leur propres semblables en cage, tant pis pour eux. Cela en ferait moins qu'il aurait à tuer avant de pouvoir rendre sa liberté à l'espèce humaine.

Alors qu'il marchait ainsi, se gorgeant de colère, devenant peu à peu ivre de colère, un rayon de soleil vint poser ses doigts sur un mont désormais couvert d'une vieille bicoque. Il se souvenait qu'il y avait eu la bibliothèque de la ville là, autrefois,. Un lieu de connaissance et symbole d'intelligence et de paix. Un lieu qu'il avait fréquenté et apprécié jusqu'à ce que les non-humains ne se ruent sur lui et n'asservissent les reste de son espèce. Il serra les dents. Sa fureur devait être visible sur son visage, il était droit, déambulant dans les rues sales et bruyantes du marché aux esclaves. Une certaine noblesse de celle des rois déchus ltransparu dans son attitude, dans son maintien.

Même si sa nouvelle stature mettait aussi en exergue son collier, c'était sa personnalité, son humanisme qu'il mettait en avant. Et même si autour de lui, les maîtres ne changeait pas vraiment d'attitude, ayant estimé dès son entrée qu'il devait être un esclave de confiance et assez important pour aller commander des esclaves seul comme on aurait pu le croire, Amadaüs lui voyait le monde différement. Ainsi, ce fut avec la volonté et le dédain d'un roi qu'il se retourna.

Melyssandre foulait le sol poussiéreux de Sero de ses sandales luxueuses. Elle n'avait toujours pas quitté les vêtements dont le maître de chez qui elle s'était échappée l'avait pourvue. La jeune femme portait une ample et élégante robe de fin tissu blanc qui ondulait à la brise légère du marché. L'hybride était soigneusement coiffée, maquillée et parfumée. Personne n'aurait pu soupçonner qu'elle fut autre chose qu'une riche dame. Seulement, son tatouage sur la cheville attestait du contraire. Heureusement, la robe était assez longue pour le cacher au yeux de tous. S'il se révélait au beau milieu de cette foule d'enfoirés de marchands d'esclaves, elle allait passer un sale quart d'heure et serait peut-être même reprise par l'un d'eux.
Melyssandre essayait donc de paraître la plus détendue et la plus confiante possible, mais avançait néanmoins d'un pas rapide.

L'hybride essayait d'afficher l'air de dégoût profond qui sied à toute dame confrontée à ces loques que sont les esclaves. Pourtant, elle était remplie de pitié et de colère à la fois. Le spectacle de ces marchands se faisant de l'argent sur le dos de ces débris humains était grotesque et révoltant.
Le vent commençait à se lever et elle s'en inquiéta, il ne faudrait pas que sa robe laisse quelqu'un apercevoir son tatouage, ça serait trop bête !

Alors qu'elle était pratiquement à la sortie de Sero, une rafale plus grosse que les autres découvrit sa cheville. Angoissée, la jeune femme regarda de tous les côtés, en quête d'un visage hostile mais ne vit rien. Elle allait repartir quand elle croisa le regard dur d'un jeune humain. Il avait du remarquer le tatouage sur sa cheville. Elle le détailla rapidement: il portait au cou, bien en évidence, un gros collier de cuir mais il avait l'air assez arrogant malgré tout. Son regard était hostile mais elle n'aurait su dire si c'était contre elle où si c'était simplement la vie qui le lui avaient donné.

Affolée, Mélyssandre lui jeta un regard éloquent, le mettant au défi de dire quoi que ce soit.

Son regard tomba sur une fille. Presque une dame. Elle en avait la richesse, la beauté, le port et le maintien. Seulement le dégoût qui s'affichait sur son visage n'en était pas digne. Amadäus commençait à la toiser lorsqu'un coup de vent plus violent que les autres fit voler sa jupe. L'humain ne remarqua pas vraiment pourquoi elle semblait maintenant affolée. En tout cas, il était certain qu'elle ne l'avait pas vu. Jusqu'à ce qu'elle croise son regard et lui montre un visage étrange qui lui fit relever la tête et froncer les sourcils sous l'incompréhension. Pas un mot n'avait été échangé entre eux mais leurs visages parlaient pour eux. La menace du côté de la jeune fille, la mésentente pour l'humain.

Puis presqu'aussitôt, une nouvelle bourrasque. Les yeux de l'esclave au collier dérivèrent sur ses jambes, attiré par la forme de ses dernières et le mouvement ample de la jupe. Amadäus matait impunément les jambes racées de la pouliche. Fort sympathique. Dommage que ce fut une libre et pas une humaine. Mais il eut un mouvement de surprise lorsqu'il découvrit, un instant avant que le tissu ne le recouvre le tatouage de la jeune fille. Il cligna deux fois des yeux, prenant sa décision dans ce temps infime. Déjà des murmures étranges surgissaient autour de la fille. Cela confirmait ce qu'il croyait avoir vu. Il devait agir vite. Heureusement, il estima que cela devait faire moins d'une dizaine de secondes qu'il se trouvaient l'un en face de l'autre. Amadäus regarda la fille dans les yeux, prit un grand sourire et s'exclama aussi bruyamment que possible en levant les bras au ciel :

"Jeune maîtresse ! Mais où étiez-vous passée ? Madame votre mère vous avait bien précisé de ne pas me faucher compagnie, jeune maîtresse. En plus, c'est inconvenant de se promener sans chaperon, vous savez bien ! Venez maintenant, nous allons être en retard pour votre leçon de maintien ! Et c'est encore moi qui me ferait battre !"

Sans trop attendre son avis mais suffisament lentement pour que cela paraisse naturel il lui saisit la main et l'entraîna en prenant un ton d'esclave modèle. Il se maudissait intérieurement de devoir jouer la comédie pour en savoir plus. Surtout qu'il pouvait encore se tromper. Par contre, il apprécia les goûts et le caractère de la fille Prïam. Au moins, habillé comme il était en costume fonçé avec sa chemise blanche ouverte sur son collier, il pouvait facilement passer pour un esclave de compagnie digne de l'habillement de la jeune fille.

Amadäus décida de l'emmener vers la sortie la plus proche du marché sans lui laisser le temps de parler pour protester. Il essaya donc de commencer une conversation à sens unique pendant que des dizaines de questions - ou presque - tournoyaient dans son crâne.

"Voyons, jeune maîtresse ! Vous savez bien que madame votre mère vous interdit d'approcher les marchandises de Sero pour ne pas que vous attrapiez de la vermine à votre tour. Vous ne devriez pas me faire ça, jeune maîtresse, déjà que je risque gros si madame votre mère apprend que je fais un détour pour vous laisser faire du lèche-vitrine. Vous vous souvenez de la dernière fois ? Je croyais que vous aviez compris que pendant que je guérissais vous ne pouviez plus jouer avec moi. Et nous allons être en retard ! Monsieur Masser va encore être désappointé ! Et vous savez comment ça se passe, n'est ce pas ? Il vous prive de mon soutien pendant toute la durée de la leçon et ira se plaindre à madame votre mère ! Et non seulement, je passerai le temps de la leçon attaché au porte manteau de l'entrée mais en plus madame votre mère me fera comprendre mon erreur. Et en plus, vous ! Jeune maîtresse ! Vous rendez vous compte comme vous n'allez pas aimer cela ? Vous le savez bien pourtant ! Comme ces leçons de maintien vous sont pénible sans ma présence à vos côtés ! Allons ! Venez, venez ! Je vous ferai repasser par là au retour mais il faut que nous nous dépêchions parce que vous savez bien...

Et pendant que l'humain déblatérait ainsi le sermon et la morale bien pensante de la bonne société, il se haïssait de se comparer tour à tour à un jouet et à un chien. Rien que parce qu'il s'était abaissé à cela, il faudrait qu'elle lui explique impérativement !

L'humain s'approcha d'elle comme s'ils s'étaient toujours connus et la noya de paroles.
Complètement désarçonnée, elle se laissa entraîner vers la sortie de Sero par le jeune homme.
Et le flot de parole ne paraissait pas vouloir se tarir un jour au grand dam de l'hybride.

" Et blablabla... Voyons, jeune maîtresse ! Vous savez bien que madame votre mère vous interdit d'approcher les marchandises de Sero pour ne pas que vous attrapiez de la vermine à votre tour. Vous ne devriez pas me faire ça, jeune maîtresse, déjà que je risque gros si madame votre mère apprend que je fais un détour pour vous laisser faire du lèche-vitrine. Vous vous souvenez de la dernière fois ? Je croyais que vous aviez compris que pendant que je guérissais vous ne pouviez plus jouer avec moi. Et nous allons être en retard ! Monsieur Masser va encore être désappointé ! Et vous savez comment ça se passe, n'est ce pas ? Il vous prive de mon soutien pendant toute la durée de la leçon et ira se plaindre à madame votre mère ! Et non seulement, je passerai le temps de la leçon attaché au porte manteau de l'entrée mais en plus madame votre mère me fera comprendre mon erreur. Et en plus, vous ! Jeune maîtresse ! Vous rendez vous compte comme vous n'allez pas aimer cela ? Vous le savez bien pourtant ! Comme ces leçons de maintien vous sont pénible sans ma présence à vos côtés ! Allons ! Venez, venez ! Je vous ferai repasser par là au retour mais il faut que nous nous dépêchions parce que vous savez bien... Et blablabla "

Jeune maîtresse ? Chaperon ? Et puis quoi encore, elle ignorait s'il sortait là des préceptes de sa propre morale, mais elle les trouvait vains et à mourir d'ennui. Par contre, l'idée de le voir attaché au porte-manteau l'amusait franchement...
Dieu ce qu'il pouvait aligner comme mots à la suite cet humain ! Mais quand donc reprenait-il son souffle ?
Il n'y avait personne aux alentours et, agacée, Melyssandre se dégagea vivement. L'hybride lissa les plis de sa robe, remit rapidement ses cheveux en ordre puis posa ses mains sur ses hanches et regarda l'humain en haussant un sourcil interrogateur. Elle dévisagea avec insistance cet étrange bout d'homme.

" Je n'ai jamais vu quelqu'un déblatérer autant pour ne rien dire. Je te suis reconnaissante de tes efforts pour me rendre servir mais un simple silence aurait suffi. " fit-elle mi amusée mi exaspérée

Elle jaugea l'humain, il avait adopté une attitude différente depuis qu'ils s'étaient soustraits aux regards extérieurs. La précédente était tellement servile que l'hybride en avait été écoeurée. Elle détestait les esclaves soumis, les lâches, les faibles, ils ne faisaient que mériter ce qui leur arrivait. Elle ne pensait pas que celui-ci le soit, quelque chose sur son visage lui disait que ce n'était pas le cas. Il était même assez craquant ce petit humain, un charmant jouet pour son maître ou sa maîtresse peut-être. D'ailleurs...

" Eh bien ? Ton maître ne va-t-il pas prendre ombrage de ton retard ? Tu devrais reprendre ton chemin. "

Et elle, allait-elle reprendre son chemin ? Lequel d'ailleurs ? Cela faisait bien longtemps qu'elle n'en avait plus et qu'elle avançait à l'aveuglette, au jour le jour. Elle en était si fatiguée... Mais si elle s'arrêtait d'avancer, elle ne se relèverait certainement pas.
L'humain ne bougeait toujours pas, qu'attendait-il ?

La jeune femme sembla reprendre volonté dès qu'ils furent éloignés des rues bondées de Sero. Amadäus la laissa se remettre bien. Pour reprendre contenance, il décida de remettre bien sa veste sur ses épaules tout en la regardant du coin de l'oeil. Robe, cheveux puis position avant de le regarder l'air à la fois surpris et, à son goût dédaigneux. Lui aussi, releva la tête, se tint droit et sa prestance contrastait incroyablement avec l'attitude qu'il avait eu juste quelques secondes avant. On eut pu supputer qu'il ne s'agissait plus de la même personne. La fille le remercia en lui reprochant la quantité de paroles débitées. Puis elle mentionna son maître. Il serra les dents et approcha d'un pas, penchant le buste vers elle, menaçant, l'index droit pointé vers le menton hybride.

"Primo ! Je n'ai de maître que moi-même ! Ne me dis pas ce que j'ai à faire, merci ! Je le sais très bien."

L'humain se redressa alors, faisant un pas en arrière pour s'écarter d'elle. Il eut un soupir agacé. Sans qu'il ne s'en rende compte ses mains allèrent tripoter nerveusement le collier qui lui ceinturait le cou. Sur son visage fermé, on voyait que ses yeux scrutaient la fille à lui en percer la chair. Puis, il lui tourna le dos et alla s'appuyer des deux poings fermés sur le capot d'une voiture qui se trouvait garée deux pas plus loin. Après un instant de silence, il reprit d'une voix bien plus calme :

"Ensuite, sache, mon petit, qu'un simple silence n'aurait pas suffi. Avec ce silence, les autres auraient pu te demander des explications sur le tatouage de ta cheville..."

termina-t-il d'une voix perfide en se retournant et en désignant la cheville en question de son index. Un sourire narquois ornait son visage. L'humain s'appuya ensuite contre la voiture, l'air un peu plus détendu mais les bras croisés sur sa poitrine. Il reprit d'une voix plus calme et plus apaisante :

"Que comptes-tu faire ?"

L'hybride se contint lorsque le jeune humain s'approcha d'elle un peu trop près et avec un peu top de hargne à son goût. Il n'était donc vraiment pas un agneau, cela pimentait un peu la chose. Mais il fallait veiller à rester suffisamment maître du jeu.
Le jeune homme se tripota nerveusement le collier, ce geste ne lui échappa pas. Elle lui rendit son regard scrutateur, le visage aussi expressif qu'une statue de marbre, seuls ses yeux s'animèrent d'un éclat furieux. Il ignorait ce que la vie lui avait réservé à elle, suffisamment pour ne pas se laisser importuner par un autre esclave à l'égo surdimensionné.
Il s'éloigna un peu, en lui tournant le dos.

"Ensuite, sache, mon petit, qu'un simple silence n'aurait pas suffi. Avec ce silence, les autres auraient pu te demander des explications sur le tatouage de ta cheville..."

" Je peux dire, moi, que je n'ai d'autre maître que moi-même. Mais toi, est-ce exact ? Pourquoi portes-tu ce collier à ton cou ? Autre chose: je ne suis pas ton petit et si tu menaces encore une fois, je t'assomme. "

Melyssandre avait parlé sans élever le ton mais en détachant chaque mot avec soin, leur donnant toute leur signification.
Elle ignora volontairement sa remarque sur le tatouage qui ornait sa cheville.

" Que comptes-tu faire ?"

Evidemment cela ne le regardait en rien mais elle ne lui devait même pas la réponse. Cependant, même si elle rechignait à le reconnaître, il l'avait quand même rendu service, elle se rappela qu'il aurait pu la dénoncer en espérant quelques piécettes ou quelques caresses en remerciements. L'hybride devinait que ce n'était pas son genre. Alors elle répondit franchement.

" Je n'en ai aucune idée. Je vais continuer à vivre, et à me faire discrète. "

Elle avait horreur de vivre cachée comme un rat. Elle se méprisait elle-même pour cela mais au fond, elle savait qu'elle n'avait d'autre choix. C'était le plus raisonnable.

" Et toi jeune humain ? "

Elle se rendit compte qu'elle ne connaissait pas son nom et que cela la gênait pour s'adresser à lui.
Mais il était inutile de le lui demander s'ils devaient se séparer l'instant d'après, et elle n'aimait pas les inutiles. Du moins pas de ce genre là...

L'esclave sursauta à la mention du collier portant automatiquement la main à celui-ci.

"Ce collier ? Et bin ? Pourquoi pas ? Tu trouves pas qu'il est 'fachieun' ? Avoue ! J'ai la classe avec, non ? Boah ! Je te l'accorde !Mais sans j'ai aussi la classe."

Ce fuit alors qu'elle lui parla de l'assomer. A son tour, il lui avait posé une autre question à laquelle elle répondit de bonne grâce. Amadäus ferma alors les yeux et hocha négativement la tête, remontant un peu ses bras l'un sur l'autre, les croisant encore mieux sur son torse.

"Tst tst ! Faux ! Tu t'es plantée ! C'est pas ça que je demandais. Je sais bien que tu vas continuer ton chemin et que t'as aucune idée de comment. Sinon, tu ne serais pas revenue à Sero comme un chien à son maître. SAuf si justement tu l'as choisi pour te planquer. Ce à quoi, je dis chapeau ! Parce que c'est plutôt dangereux comme système. Audacieux et intelligent, d'accord. Mais dangereux."

Amadäus se redressa un peu contre les flancs de la voiture, croisa les chevilles et reprit après avoir respiré :

"Je te demandais comment tu comptais faire pour m'assomer avec tes petits bras. C'est sur que c'est très mignon et joli tout plein tout ça mais c'est pas très puissant. Enfin, j'dis ça, j'dis rien, j'sais pas ce que c'est que ton pouvoir, ma mignonne. Mais de ta part, ce serait maladroit..."

Amadäus laissa passer un temps, fixant un peu le sol. Il avait une idée de ce qu'il allait dire, une vague idée. Il cherchait juste quelques mots et un peu d'inspiration. Finalement, il releva la tête et lui continua :

"Ce serait maladroit parce que je suis un sympatisant. Notre mouvement peine un peu et je recherche tous les esclaves dont l'esprit n'a pas été annihilé par la servitude."

Il s'arrêta là. Il voulait savoir ce que la fille répondrait à cette révélation. Amadäus se redressa, se détachant de la voiture et mis les mains dans ses poches et là la regarda dans les yeux.

L'hybride écouta sa tirade insensée à propos du collier sans broncher. A priori, la vérité l'avait légèrement vexé.
Puis il s'emporta à nouveau, il mettait apparemment grandement en doute la capacité de la jeune femme à l'assommer. Etait-ce à cause de sa belle apparence qu'il oubliait qu'elle était esclave, avant même sa naissance à lui. Melyssandre avait forcément du apprendre à se protéger. Et cela s'appliquait aussi bien aux autres esclaves qu'à ses propres maîtres. Plusieurs l'avaient bafoué et payé de leur vie. Elle n'était pas malhabile avec une lame et avait plus de force et de souplesse que n'importe lequel des mortels. La jeune femme avait déjà tué, et à plusieurs reprises. Parfois sous le coup de la peur ou de la colère, et parfois de sang froid. Mais toujours avec une certaine efficacité. Elle ne s'en vantais pourtant pas, le meurtre n'était pas une besogne glorieuse...

" Espèce de petit abruti... Que crois-tu savoir de moi ? Peut-être est-tu condamné à sous-estimer tout le monde à cause de ton orgueil démesuré. C'est une grave erreur que tu devrais corriger. Mais cesse donc cette provocation gratuite, ça ne marche pas avec moi. Puis si je suis venue à Sero, ce n'est pas comme un chien à son maître mais parce que je le devais pour quelqu'un. Peut-être as-tu l'habitude de ne vivre que pour toi et je comprendrais que mes raisons te dépassent humain ! Et que veux-tu que je fasse d'autre que de rester discrète ? Je ne changerai jamais le monde à moi toute seule. Tu dis douter de mes capacités, comment peux-tu alors me penser capable de crier mon existence à la face du monde. Tu es impétueux, c'est bien. Mais ne me demande as de faire cette sottise, il ne faut pas se montrer inutilement téméraire. "

L'hybride essayait de se contenir, tremblante de colère. Malgré tout, ce serait trop facile de céder à ce sentiment impulsif. Oui, ce serait tellement facile pour elle de l'assommer d'une simple décharge d'énergie, mais ce serait déloyal aussi. et cela, ce n'était pas son genre si on lui laissait le choix.

Il lui avait aussi dit que ce serait maladroit de sa part de s'attaquer à lui, elle attendait de savoir pourquoi.
La suite ne tarda pas.

"Ce serait maladroit parce que je suis un sympatisant. Notre mouvement peine un peu et je recherche tous les esclaves dont l'esprit n'a pas été annihilé par la servitude."

Tiens tiens... Un mouvement de résistance, de plus en plus intéressant.
Elle pourrait leur être très utile, avec des capacités interdites aux humains qui faisaient la majorité des esclaves. Et eux, ils pourraient donner un sens à son errance.

" Dis-m'en plus s'il te plaît. "

Elle acceptait.

Il regarda à sa gauche puis à sa droite. Il se releva de la voiture, décroisa les bras et lui intima simplement :

"Viens."

Il allait la prendre par le bras pour l'inciter à venir, avait amorcé le mouvement puis s'arrêta dans celui-ci. Elle n'apprécierait sûrement pas. Et vu qu'elle avait l'air interressée. Amadäus se dirigea vers le bout de la ruelle, marchant à ses côtés. Durant quelques secondes sa tête fut baissée comme par une soumission soudaine. Lorsqu'il porta sa main à son menton pour se le frotter, il devint évident que la soumission n'était pas sa vertu première et qu'il ne l'était pas. Le serait-il un jour ? L'humain espérait que non. Soudain la luminosité changea. Elle était plus vive et plus claire. Ils avaient quitté l'ombre des immeubles pour se trouver sur une place plus ou moins déserte qui dominait une partie de la ville. L'humain releva alors la tête, les emmenant vers des escaliers qui descendaient le long de la colline.

"Tu es venu à Sero parce que tu le devais pour quelqu'un. Je suis ici parce que je me dois à mon peuple et aux esclaves. Il est temps que ce système s'arrête et que nous redevenions libres. Comme tu l'as dit, seuls nous pouvons rien. Fais équipe avec nous. Je t'ai un peu menti. Je n'ai aucun contact avec les Partisants. En tant qu'esclave moi-même, je ne peux pas en être puisqu'il s'agit d'un mouvement de libres. Et je n'ai jamais réussi à en croiser. Je doute qu'ils ne réussissent jamais à nous libérer de manière... diplomatique, si je puis dire.

Amadäus s'écarta pour laisser passer une démone en loque qui remontait l'escalier en portant un lourd panier de fruit. Il la regarda touner et disparaître de sa vue avant de reprendre son chemin vers la partie basse de la ville.

"Bien sur, si tu peux, il peut être avantageux d'obtenir un contact. Dans ceux que je fréquente, je n'en ai rencontré aucun qui soit ouvertement de ce bord. Si tu trouves, ce serait interressant. Je ne crois pas non plus à une évasion massive. Trop dur à organiser, trop d'esclaves soumis, impossible. La seule solution que je vois, puisqu'on ne peut soustraire les esclaves à l'influence de leurs maîtres serait plus simplement de soustraire les maïtres."

Il avait terminé sur un ton à la foi grave et badin, son visage se muant en une moue tour à tour grave et souriante. Il s'apliquait à descendre les marches. Pourvu qu'il ne se soit pas trompé ! Sa main alla de nouveau tripoter son collier avant de se glisser sous sa chemise pour se rendre compte de l'excroissance de la brûlure que le fer lui avait infligé. Pourvu qu'il ne se soit pas trompé ! Ou il recevrait châtiment bien plus dur qu'un marquage au fer rouge. Il avala sa salive, mal à l'aise et inquièt. Pour un peu, il aurait tremblé de trouille. Et si cette esclave n'en était pas une ? Et si c'était juste un piège ? Amadäus essaya de se rassurer en s'autoproclamant parano. Mais il passait de marche à marche sans bruit se questionnant attendant l'avis ou les idées de cette non-humaine dont il ne connaissait même pas le visage il y avait cinq minutes, dont le nom lui était toujours inconnu.

"Viens."

Melyssandre le vit s'apprêter à la prendre par le bras puis y renoncer subitement. Il semblait avoir compris qu'ils étaient un peu de la même trempe tous les deux, même si leurs vie et leurs races les séparaient sensiblement, et que la jeune femme était au moins aussi fière que lui.
Elle dissimula un petit sourire. Elle se savait tête de mule et en découvrant à quel point il lui était semblable sur ce point là, elle se dit que cela risquait d'être plus ou moins explosif comme collaboration.

Dans la ruelle, elle garda une démarche fière, elle pouvait donner le change en tant qu'immortelle. Mais le jeune humain à ses côtés n'avait pas cette chance et s'appliquait à faire la comédie, montrant une apparente soumission. Elle savait bien combien cela lui coûtait. D'ailleurs, il releva la tête dès qu'il le put et les dirigea dans les escaliers qui descendaient le long de la colline.

Puis l'humain admit qu'il lui avait menti, il n'avait pas de réel contact avec les Partisants... Mais Melyssandre ne s'emporta pas, bien qu'elle soit un peu désapointée. Le jeune homme avait une attitude moins agressive, il lui avait montré un visage plus amical, dans ces conditions, elle se sentait prête à faire de même. Jusqu'à lui pardonner de lui avoir menti pour espérer obtenir son adhésion, il n'avait pas vraiment le choix et elle le savait. L'humain paraissait d'ailleurs douter sérieusement de la capacité des libres à les libérer à eux, les esclaves, par la diplomatie. Elle était plutôt de son avis. La chair des esclaves était tant apprécié de l'ensemble des immortels que de simples palabres ne suffiraient jamais à renoncer à un tel plaisir. Ils le considéraient en plus comme leur revenant de droit, alors aucun argument ne leur en feraient comprendre l'injustice.

Puis ils s'écartèrent au passage d'une démone couverte de guenilles. Le jeune homme paraissait aveuglé par la distinction des races mais l'hybride savait, elle, que les immortels pouvaient souffrir autant de l'esclavage que les simples mortels. Même s'ils restaient souvent moins vulnérables grâce à leurs capacités. Elle regarda tristement s'éloigner la démone puis suivit le jeune esclave.

"Bien sur, si tu peux, il peut être avantageux d'obtenir un contact. Dans ceux que je fréquente, je n'en ai rencontré aucun qui soit ouvertement de ce bord. Si tu trouves, ce serait interressant. Je ne crois pas non plus à une évasion massive. Trop dur à organiser, trop d'esclaves soumis, impossible. La seule solution que je vois, puisqu'on ne peut soustraire les esclaves à l'influence de leurs maîtres serait plus simplement de soustraire les maïtres."

La jeune femme prit une mine soucieuse et s'accorda un instant de réfléxion avant de lui répondre.

" Pour d'éventuels contacts, je ne sais pas trop. Je n'ai pas vraiment cherché à le faire jusqu'ici, je n'ai donc aucune information à te donner en ce sens. Pour l'instant en tout cas. "

Puis un sourire carnassier étira ses lèvres.

"Quand tu parles de soustraire les maîtres, je suppose que tu envisages quelques départs disons... prématurés. C'est peut-être là que je peux t'être la plus utile. "

Elle prit un air malicieux avant d'ajouter.

" Et ce malgré mes petits bras... Qui sont mignons et très jolis cela dit, comme tu l'as convenu toi même. "

Et impulsivement, elle lui tendit une main gracieuse :

" Je m'appelle Melyssandre. Où me conduis-tu ? "

L'hybride leva un sourcil interrogateur en attendant qu'il dévoile son propre nom

Amadäus tendit à son tour la main en faisant la moue.

"Enchanté, pour moi, ce sera Dagda. Ce n'est pas mon vrai nom. Je préfère que nous nous ne puissions nous désigner autrement que par des surnoms. Cela permettra de diminuer le danger."

Il lui serra alors la main d'une poigne ferme et ajouta, un peu gêné :

"S'il s'agit là de ton vrai nom, peut-être peux-tu en prendre un autre. J'oublierai assez facilement celui que tu viens de me donner."

Amadäus, l'auto nommé Dagda, regarda autour de lui et avant de reporter son regard sur la jeune fille. Dans un sourire amusé, il lui avoua :

"Où je t'emmène ? Je n'en ai aucune idée. Je marche juste pour ne pas qu'on puisse suivre notre petite conversation. Et le plus simple est de marcher. Viens."

Il fit un petit signe de la main pour l'inciter à reprendre la route avant lui-même de continuer à descendre les escaliers. Tout en déambulant, l'humain reprit :

"Par contre, si toi, tu connais un endroit sain. Pourquoi ne pas y aller pour y discuter tranquillement ? Il faudra qu'on mette au point des manières de se contacter tout en en connaissant le moins possible l'un de l'autre sauf si on se rencontre fortuitement. La salope qui me sert de maîtresse me laisse une pseudo grande liberté. Il y a un émetteur dans mon collier, elle peut donc savoir où je suis. Ca ne lui a pourtant jamais pris en plein jour, on devrait être tranquille. C'est plus à la nuit tombé qu'elle s'inquiète de savoir où je suis. Et si je tiens à en savoir le moins possible de toi, c'est plus à cause d'elle. Son pouvoir est de contrôler les gens. Je ne sais pas si elle peut me faire avouer quelque chose mais il vaut mieux prendre toutes les précautions pour ne pas te mettre en danger."

Il arrivèrent finalement en bas de l'escalier, il commençait à y avoir un petit peu plus de monde. Amadäus vint alors se placer plus près de la jeune fille un peu derrière elle, comme un bon esclave que son port de tête désignait comme un ancien libre. Il marchait en évitant au mieux les ailes de la non-humaine dont la démarche chaloupée manquait à chaque pas de lui donner un coup. Il reprit :

"Pour en reprendre avec les actions à faire... C'est en effet à ça que je pensais. POur tes petits bras, je t'ai dit que je n'en savais rien puisque je ne connais pas tes pouvoirs. Mais, je pensais aussi à une action avec un peu plus d'envergure, si je puis me permettre. Que penserais-tu d'une deuxième Stille Tränen ?"

Il avait terminé en lui murmurrant la dernière phrase à l'oreille, lui posant sans y penser la main sur l'épaule de manière à la faire ralentir un peu et éviter de se prendre une aile de cygne en pleine tête.

Dagda. Apparemment le jeune humain craignait l'emprise que sa maîtresse avait sur lui. Si cette femme était capable de contrôler l'esprit des gens, il y avait vraiment de quoi se méfier. L'hybride se demanda si elle utilisait ce pouvoir sur ses serviteurs et frissonna un instant. Son esclave avait sans doute besoin de toute sa fougue pour pouvoir résister, le comportement de celui qu'elle devrait maintenant appeler Dagda prenait un nouveau sens.

Il lui fallait donc un surnom à elle aussi. Elle prit un instant de réflexion avant de se rendre à l'évidence.

" Je n'ai jamais été très douée pour me trouver des surnoms toute seule. Appelle moi comme tu veux, sans trop tomber dans le ridicule tout de même."

Melyssandre était prête à sauter à la gorge de quiconque se risquait à l'appeler Pupuce, Titine ou autre sobriquet pour le moins douteux. Mais elle ne pensait pas devoir recourir à cette extrémité avec l'humain, qui était déjà averti de son petit caractère.
Puis Dagda lui demanda si elle connaissait un endroit sain, un abri où aller. A vrai dire, ce à quoi elle pensait n'était pas à proprement parler un abri mais l'hybride aimait bien s'y réfugier lorsqu'elle voulait être au calme.

Les toits de la ville. Leur hauteur offrait une sécurité relative et permettait bien souvent de prendre du recul par rapport à ce lieu malsain. Une fois arrivés là bas, ils seraient à l'abri des regards et libres de discuter tout leur saoul, de faire ce qu'ils voulaient sans craindre les regards inquisiteurs.

Interrompant le cours de ses pensées, le jeune homme lui murmura à l'oreille.

" Que penserais-tu d'une deuxième Stille Tränen ? "

" Allons sur les toits. Nous aurons plus le loisir d'en parler. "

L'hybride déploya ses ailes immaculées.

" Je peux t'amener en haut si tu veux. Mais je suppose que tu préfères grimper. "

Elle attendit sa réponse avec un sourire franc.

Amadäus haussa un sourcil et pinca les lèvres en disant :

"Ma fille, tu supposes bien. Je n'ai jamais voulu être transporté comme un vulgaire sac à patate et ce n'est pas aujourd'hui que ça va commencer. Par contre..."

Amadäus regarda autour de lui quelque instants tout en cotinuant à marcher. Au carrefour suivant, il fit un signe du menton pour désigner un immeuble. Celui-ci n'était pas le plus haut d'entre tous. Il s'agissait d'une de ces vieilles constructions qui dataient d'un peu plus d'un siècle. La façade était recouverte de brique rouge dont les variations de couleurs faisaient quelques frises à certains endroits. Mais ce n'était pas pour l'aspect que le résistant Dagda avait choisi cet immmeuble. Il y avait un point nettement plus terre à terre et pratique : les escaliers de secours étaient extérieurs. Il s'agissait d'un de ces escaliers en métal auquel on pouvait accéder à partir d'une fenêtre de chaque appartement.

Amadäus s'approcha donc du pied de l'immeuble. L'échelle pour accéder à l'escalier était évidemment remontée pour empêcher justement les intrus d'accéder aux logements. Intrus qui devaient surtout être humains, les autres n'ayant aucune difficulté à s'envoler. Mais à l'époque de la construction de cet immeuble, la race humaine était libre et les architectes pensaient aussi à eux. QUand ce n'étaient pas eux-même des humains. L'obstacle eut pu être infranchissable, heureusement, avec un peu d'agilité et une bonne dose d'inconscience -ou de courage, c'est selon - y accéder n'était pas bien difficile.

Amadäus grimpa donc le long de la gouttière avant de sauter et de se rattraper à l'échelle. Il explosa de rire en grimpant.

"Eh ! Tu connais celle du fou qui repeint son plafond ? En tout cas, moi, je m'accroche à l'échelle !"

Il se rattrapa finalement sur le premier palier de l'escalier de secours. Il commença à monter les marches tout en réfléchissant finalement au surnom qu'il pourrait lui trouver. Si elle, n'était pas doué pour trouver des surnoms, lui était plutôt calé en mythologie. Le problème, c'était qu'il ne la connaissait pas tant que cela. Il se passa des noms en revue tout en courant pour monter les escaliers. Lorsqu'il arriva en haut, il s'arrêta quelques instant penchés, les bras appuyés sur ses genoux, essayant de reprendre son souffle. Lorsqu'il se redressa, il remarqua pour lui-même :

"Pfffiou ! Je crois que j'ai fait mon sport pour aujourd'hui. J'ai pas compté le nombre de marches mais à fond de train, ca fait pas mal... T'as vu quelqu'un ?"

demanda-t-il rhétoriquement à la fille. Il était à peu près certain qu'il n'y avait personne : seule l'entrée normale d'accès au toit cachait la vue. Le reste du toit était plat et ouvert aux regards. Tout en cherchant un endroit où s'assoir, l'humain apostropha son acolyte d'une voix joyeuse :

"Au fait, je pense t'avoir trouvé quelque chose qui pourait correspondre. Que dirais-tu de Maât ? C'était une déesse de l'ordre dans l'ancien temps... Enfin... En gros. Et comme nous nous devons de remettre un peu d'ordre sur cette terre, c'est... Enfin. Moi, je trouve que ça t'irait bien. Qu'est-ce t'en dit ?"

Finalement, il n'y avait pas vraiment grand chose sur ce toit. L'humain décida donc de s'assoir contre la porte d'entrée. Comme cela en plus, ils seraient avertis de la venue d'une personne par cette voie. Il s'installa, se calant tranquillement, époussetant une saleté imaginaire de son pantalon. Il inspira profondément et expliqua :

"Bon. Tu sais qu'en ce moment et depuis quelques temps, il y a de nouveau des tensions anges-démons, non ? Je compte les utiliser pour qu'ils fassent eux-même le travail à notre place. Je pense que ce serait le plus rapide et le plus efficace. Si on mène bien les choses, bien sur..."

L'auto-nommé Dagda s'arrêta là, levant la tête pour rencontrer le regard de la fille et y lire une opinion quelconque avant de l'entendre de sa bouche même.

"Eh ! Tu connais celle du fou qui repeint son plafond ? En tout cas, moi, je m'accroche à l'échelle !"

Dagda grimpait comme un petit chat à la gouttière. Un mignon petit matou... Melyssandre observa un instant son manège d'en bas, et pas que son manège. Puis elle déploya ses ailes, s'élança dans les airs et de trois battements puissants, elle atterrit souplement sur le bord du toit. Elle s'assura rapidement qu'il n'y avait personne aux alentours et attendit que l'humain arrive.

Lorsqu'il se hissa sur le toit, le jeune homme eut besoin de reprendre un peu son souffle. L'idée l'effleura un instant de lui envoyer quelques ondes d'énergie pour le remettre sur pied. Mais elle s'abstint, elle n'était pas du tout sûre que l'humain l'accepte car cela créait une étrange intimité. L'expérience pouvait être dérangeante pour une personne non avertie, malgré l'extrême bien être qu'elle procurait. La jeune femme respectait bien trop l'intimité de Dagda pour oser prendre ce risque. Et puis, avec le foutu caractère qu'avait cet humain, elle n'avait pas trop de marge d'erreur. Puis Melyssandre réalisa que ce devait être réciproque et s'autorisa un rire voilé.

"Pfffiou ! Je crois que j'ai fait mon sport pour aujourd'hui. J'ai pas compté le nombre de marches mais à fond de train, ca fait pas mal... T'as vu quelqu'un ?"

" Non non, il n'y a que nous. "

Le jeune humain avait visiblement repris son souffle. Il récupérait vite, il était en bonne santé. Puis elle se maudit de penser comme ces enfoirés d'esclavagistes et se promit que cela n'arriverait plus.

"Au fait, je pense t'avoir trouvé quelque chose qui pourrait correspondre. Que dirais-tu de Maât ? C'était une déesse de l'ordre dans l'ancien temps... Enfin... En gros. Et comme nous nous devons de remettre un peu d'ordre sur cette terre, c'est... Enfin. Moi, je trouve que ça t'irait bien. Qu'est-ce t'en dit ?"

Maât ? Oui, c'était un joli nom. L'hybride ne regrettait pas de lui avoir laissé le choix, elle n'aurait pu trouver mieux elle-même. Et tout le passé du nom, sa signification profonde, lui plaisait au moins autant.

" Maât ce sera parfait. " conclut-elle avec un sourire appréciateur.

Dagda se cala contre la porte d'accès. Puisque le temps était à la décontraction, Melyssandre s'assit en face de lui, sur le rebord du toit, laissant aller ses jambes dans le vide. Personne ne la verrait, une avancée au premier étage la cachait parfaitement des regards indiscrets. Le jeune esclave reprit la parole.

"Bon. Tu sais qu'en ce moment et depuis quelques temps, il y a de nouveau des tensions anges-démons, non ? Je compte les utiliser pour qu'ils fassent eux-même le travail à notre place. Je pense que ce serait le plus rapide et le plus efficace. Si on mène bien les choses, bien sur..."

Oui, elle savait. De toute manière, les tensions anges-démons n'avaient jamais vraiment cessé. Les hybrides en étaient la preuve: tantôt rejetés pour leur côté démoniaque tantôt méprisés pour leur côté angélique. Elle ne le savait que trop bien.
Mais de là à engendrer une deuxième guerre, elle ne voyait pas comment deux esclaves pouvaient y réussir... Elle savait ses semblables, fiers et colériques la plupart du temps, mais jamais stupides ni naïfs.

" Tu as vraiment de la suite dans les idées. Mais mes semblables, si je peux les considérer comme tels, ne sont pas stupides ! Et nous ne sommes que deux pour l'instant. Je ne vois pas comment on pourrait s'y prendre, toute les possibilités me semblent vaines et folles. "

La belle hybride resta perdue dans ses pensées un instant avant de poursuivre, presque pour elle-même.

" Une deuxième guerre ferait peut-être plus de dégâts que de bien. Je suppose que les esclaves serviront d'abord de chair à canon. Peut-être qu'il serait préférable d'agir dans l'ombre, sur des points stratégiques. Je ne sais pas... A moins que tu n'ai déjà ta petite idée ? "

Elle l'interrogea du regard. La jeune femme était vraiment loin de soupçonner tout cela lorsque Dagda l'avait abordée au marché.

Tout en soupirant d'un air gêné, Amadäus passa la main derrière son cou pour le frotter. Il ne sentit presque pas le collier de cuir racler contre ses doigts. S'y était -il habitué ou bien était-il plongé dans ses pensées ? Son regard qui était parti vers un coin du sol nue du toit retourna vers Maât, ainsi qu'elle se nommerait en sa compagnie désormais. Il reprit d'un ton un peu plus hésitant mais explicatif :

"Bin, je pensais comme toi tout d'abord. Les esclaves seront utilisés comme soldats. Sauf qu'ensuite je me suis demandé un truc. Tu penses vraiment qu'ils vont les utiliser comme tels ? Regarde : pendant Still Tränen, tous les quartiers humains ont été dévastés. Les autres quartiers très peu. Les maisons des Sept ont presque toutes été épargnées. Ils se sont arrangés pour que leur biens soient saufs. Oui, je sais... Ca fait un peu théorie du complot dit comme ça mais... Bref, j'en pense que comme ils considèrent les esclaves comme leur biens, ils vont éviter de les sacrifier. Et puis ! T'as vu combien ça coûte ? Tout le monde ne peut pas s'en offrir."

Amadäus baissa la tête, chagriné et un peu honteux.

"Purée... J'ai l'impression de parler bétail... C'est horrible."

De nouveau, il poussa un soupir et sa main alla jouer avec son collier sans qu'il en s'en rende compte. Il resta ainsi quelques secondes à ne pouvoir trouver les mots. Il se mordit les lèvres tout en se remémorant les paroles de Maât. Ses mains plaquées l'une contre l'auter allèrent se glisser entre ses cuisses tendues sur le sol. Il reprit soudainement :

"Et puis ! Si c'est le nombre qui te gêne, on peut toujours recruter ! Regarde ! Il y a pas hier, j'étais tout seul. Il suffit de voir qui a suffisament d'indépendance et de volonté. Mais plus on sera nombreux, plus le risque de voir un traître apparaître sera grand. C'est pour cela qu'il faut qu'on planifie dès le début l'organi... L'organisage ? Non. L'organasa... Rhaaa ! Bref ! Tu m'as compris ! Il faut qu'on soit préparé, quoi !"

Il avait souvent buté sur ce mot là et s'en maudit un instant. Il avait détourné les yeux, évitant le regard de Maât, le rouge lui montait un peu aux joues. Il estimait stupide de ne pouvoir trouver un mot. Il reprit calmement tout en observant une tourterelle qui roucoulait sur le toit :

"Et oui. J'ai ma petite idée. De toute façon, à part agir dans l'ombre, je vois pas vraiment comment faire."

Amadäus se releva alors et commença à faire les cents pas. Heureusement qu'il avait terminé l'adolescence ! Sinon, il savait qu'il aurait eu une vieille poussée d'acnée le lendemain. Pas très glorieux. Mais il sentait son dos se nouer et il ne tenait plus en place. Il fallait qu'il marche. Il n'avait pas encore tout à fait confiance en elle.

"Dans mon idée, il faudrait trouver un élément isolé. On le tue et laisse un petit message raciste qui ne manquera pas d'attiser les médias et la haine de l'autre race. et on continue ainsi de suite jusqu'à ce que la poudre prenne."

Il s'arrêta près du bord du toit. L'oiseau s'envola dans un bruit de plumes. IL tourna la tête, la regardant du coin de l'oeil et lança par dessus son épaule :

"Qu'en penses-tu ?"

" ... Bref, j'en pense que comme ils considèrent les esclaves comme leur biens, ils vont éviter de les sacrifier. Et puis ! T'as vu combien ça coûte ? Tout le monde ne peut pas s'en offrir."

L'hybride hocha négativement la tête. Elle n'était pas de cet avis. Après avoir vécu parmi eux lorsqu'elle était encore un être libre, elle savait très bien comment ils réagiraient.

" Je pense en effet que certains esclaves pourraient être préservés par leur maîtres en tant que possession utile. Mais les innombrables autres qui se trouvent parqués à Sero n'ont de valeur pour personne. Et de toute façon, les immortels préfèreront toujours envoyer leurs petits joujous à la mort qu'eux-même. Une guerre ouverte n'est vraiment pas la solution. "


"Purée... J'ai l'impression de parler bétail... C'est horrible."

La jeune femme ne comprenait que trop bien cela. Elle baissa la voix et répondit d'un air peiné.

" Nous n'avons pas le choix. Il faut les comprendre pour les atteindre, penser comme eux est indispensable. Même si cela nous répugne. "

L'humain tritura encore une fois le gros collier de cuir qui lui ceignait le cou. Le geste paraissait lui être devenu familier. Melyssandre se savait chanceuse de ne pas avoir à supporter une telle chose, de nombreux maîtres se plaisaient à renforcer leur emprise sur leurs esclaves par des objets semblables.

Puis Dagda proposa de recruter d'autres esclaves libertaires pour qu'ils viennent prêter main forte à l'exécution de leurs projets. Mais il souligna, avec raison, qu'en prenant de l'ampleur leur mouvement serait plus exposé à la traîtrise. Même sans parler ce cela, un mouvement trop étendu attirait inévitablement l'attention. On ne pouvait pas empêcher les murmures de faire courir la rumeur. Il fallait donc trouver un juste milieu.

Lorsqu'il buta sur un mot, le rouge monta aux joues du jeune homme, cette vision fit gentiment sourire Melyssandre. Cet humain était surprenant, tantôt bouffi d'orgueil, tantôt presque timide. Elle espérait que ce n'était pas elle qui le mettait mal à l'aise. Car ce n'était pas du tout ce qu'elle désirait.
Mais Dagda évitait son regard.

Il reprit cependant la parole, les yeux toujours détournés. Mais elle fut surprise de l'entendre répondre à la question qu'elle avait lancée à tout hasard.

"Et oui. J'ai ma petite idée. De toute façon, à part agir dans l'ombre, je vois pas vraiment comment faire."

Dagda se leva pour faire les cents pas, c'était certainement pour se donner une contenance. Mais l'hybride ne put que remarquer qu'il était tout de même nerveux.

"Dans mon idée, il faudrait trouver un élément isolé. On le tue et laisse un petit message raciste qui ne manquera pas d'attiser les médias et la haine de l'autre race. et on continue ainsi de suite jusqu'à ce que la poudre prenne. Qu'en penses-tu ?"

L'humain lui tournait le dos et ne s'adressait à elle que par-dessus son épaule. La jeune femme ne put retenir le doute qui la taraudait et la question franchit ses lèvres presque malgré elle.

" Est-ce moi qui te rend si nerveux ou y a-t-il un problème ? "

A ces mots, l'humain se retourna plus complètement, un peu surpris. Il la regarda un instant, la dévisageant sans retenue, essayant presque de la transpercer du regard puis il détourna de nouveau la tête et regarda les toits de la ville. A cette ahuteur, on percevait un faible murmure des habitations. C'était étrange, on avait l'impression que rien ne vivait à cause de cette immobilité. Mais les oiseaux, les quelques silhouettes d'ange ou de démon ici et là et surtout le bruit continuel qui parvenait jusqu'à eux comme s'il était sorti des entrailles de l'enfer démentait son impression première.

"Etrange... La ville semble si calme. Pourtant nous allons la mettre à feu et à sang. Bientôt retentira des cris d'agonie et de rage bientôt les éclats des combats dépasseront le chant des oiseaux."

Amadäus se retourna et la regarda de nouveau dans les yeux :

"Et je n'aurais aucun remords."

Il se dirigea alors tranquillement vers Maât et s'arrêta à sa hauteur :

"Si je laisse mon peuple comme ça alors je regretterai. Je me fiche du nombre de morts de libres qu'il faudra pour parvenir à cet objectif. Mais je ne peux pas laisser mes semblables s'avillir. La différence de force entre les non-humains et nous est tellement injuste et flagrante que beaucoup d'entre nous se résignent. Il y en a qui, comme moi, portent encore cet esprit de liberté. Je démarre ce mouvement. Je sais ce que je risque. Un faux pas, je suis pris. Une dénonciation, je suis pris. Une trahison, je suis pris. Et que crois-tu qu'il feront à un meneur rebelle ? Un exemple."

Il glissa une nouvelle fois la main entre sa chemise et sa peau, sentant sous la pulpe de ses doigts la fine excroissance dûe au fer. Il regarda au lointain et continua de cette même voix grave et sérieuse.

"Les démons ont déjà fait des exemples. J'étais normalement du lot mais trop jeune. Ils m'ont accordé le choix. Et tué le reste de mes compagnons. Leur exemple était basé à l'époque sur le grand nombre d'exécutés. S'ils m'attrapent maintenant, c'est à la torture que je passerai. Et ça, ce sera désastreux pour les miens. Il est facile de faire peur, il est facile de terroriser. Notre vie est courte. Nous savons ce qu'elle vaut, qu'il ne faut pas la perdre. A cause de cela... Nous nous résignons plus facilement face à l'intimidation. Nous préférons vivre bassement que mourir vite. Moi, je donnerai ma vie pour les libérer de l'esclavage. Mais pas si c'est sur la place publique sous la main de bourreaux."

Amadäus placa les mains dans ses poches. Le silence qui régnait maintenant entre eux deux ne laissait pas présager qu'il avait fini de parler. L'humain se redressa, le dos droit, un port presque royal. Il s'humecta les lèvres, garda le silence quelques secondes encore puis continua :

"Pour répondre à ta question... C'est certainement un peu des deux. Je n'ai pas le droit à l'erreur. Je ne te connais pas mais tu as eu des réactions qui m'ont paru saines. J'ai décidé de t'accorder ma confiance en espérant que je ne me sois pas trompé mais bien au delà de toi et moi, tu as vu que les difficultés sont nombreuses. Elles ne m'arrêteront pas. Je risque la torture et la mort à petit feu et je le sais. Je m'y suis préparé. Mais toi ? Peut-être encore ne t'es tu pas rendu compte de cela. Nous n'avons pas mis au point grand chose, tu ne sais rien encore de ce que je peux décider de faire ou non."

Amadäus la regarda droit dans les yeux.

"Maât, si tu veux partir, c'est maintenant. Maintenant ou jamais. Après tu seras trop impliquée et je ne pourrais te laisser partir qu'en te tuant. J'ignore ton pouvoir mais j'en serais capable quelqu'il soit. Si jamais tu restes, tu auras droit de m'appliquer le même châtiment. Si tu restes.

Si tu as un doute, pars. Pars maintenant sans crainte ni regret. Je préfère compter sur des personnes qui savent ce qu'elles veulent quitte à en mourir. Je ne t'en voudrais pas. Si jamais tu te décides à rester. Rejoins moi et dis moi ce que tu penses de la solution que je t'ai proposée. Ne viens que lorsque tu seras décidée. Je traînerais autour de Sero."

Amadäus releva la tête, regarda un instant sur le côté vers le toit des immeubles puis fit demi-tour et s'éloigna de l'autre côté de l'immeuble et s'assit à son tour sur la corniche, les pieds dans le vide. Le conseil de Sero, c'était pour si elle n'avait choisi avant la fin du jour. Il devrait repartir à ce moment là.

" Tu parles de libérer les tiens Dagda. Mais moi je pense que nous allons libérer les nôtres. Humaine ou pas, je suis une esclave tout autant que toi, de même que tout ces immortels en cage. Ne te laisse pas aveugler par la haine que tu voues à mes semblables, je la ressens. Toute cette amertume... J'imagine que tu as tes raisons. Mais il faut que tu saches que bon nombre d'esclaves ne te suivront pas. J'en ai rencontré qui préféraient rester serviles, par lâcheté. Et ils sont très nombreux. Ceux-là ne font que mériter leur sort."

Elle le regarda droit dans les yeux.

" Ce n'est pas la peine de retourner à Sero, tu auras compris que je reste. Je ne veux plus errer sans autre but que de survivre à chaque jour. Mieux vaut se consumer d'une flamme que mourir à petit feu, n'est-ce pas ce que l'on dit ? "

L'hybride eut un sourire désabusé.

Elle savait bien qu'ils courraient tous deux à leur perte à plus ou moins long terme. Mais elle en avait assez de vivre comme cela. Elle préfèrerait encore la mort à l'humiliation continuelle qu'elle ressentait lorsque son regard tombait sur sa cheville. La jeune femme avait bien essayé de ne pas y faire attention, et c'était ce qu'elle faisait croire à tout le monde. Elle apparaissait comme une esclave que l'on n'arrivait pas à briser, trop gorgée de fierté pour se soumettre complètement. Elle avait même tué plusieurs de ses maîtres, s'étonnant à chaque fois d'être laissée en vie. Puis elle avait compris qu'elle n'était guère plus qu'un morceau de choix, qu'elle était beaucoup plus appétissante vivante qu'enterrée, donc beaucoup plus rentable. Melyssandre était ainsi vendue et revendue inlassablement, passant entre beaucoup trop de mains à son goût.

On aurait juré que cela ne l'atteignait pas, elle essayait de s'en convaincre. Ce n'est que lorsque cet humain lui avait fait envisager un avenir sans chaîne qu'elle avait réalisé qu'elle en avait, même si elle se bornait à le nier. Le tatouage à sa cheville l'enchaînait à l'esclavage qu'elle abhorrait. La jeune femme était lasse, mais elle avait refusé de se laisser aller, jamais. Si cela avait été le cas, elle ne serait même pas sur ce toit avec Dagda. Aujourd'hui, elle était prête et résolue, c'était comme si elle s'était battue pour rester en vie pendant toutes ces années seulement dans l'attente de ce moment, où elle entreverrait une issue.

Dagda lui avait parlé de torture, cela dissipait en général le doute des indécis qui préféraient alors battre en retraite. Mais Melyssandre avait fait son choix. La question était donc réglée, torture ou pas. Si jamais ce moment arrivait, l'hybride ne se déroberait pas et ne ferait pas défaut au jeune homme assis sur ce toît avec elle. Mais elle rangea cette éventualité dans un recoin de sa conscience, pour le moment elle préférait ne pas y songer. Les craintes inutiles de faisaient que troubler l'esprit.
Elle parla d'une voix froide et détachée mais un frisson lui parcourut l'échine, qui n'était pas lié à la fraîcheur du moment.

" Si un jour nous sommes pris, je peux t'offrir une mort rapide, mais seulement si tu le désires. Ne me réponds pas pour l'instant. Réfléchis-y, c'est tout. "

L'hybride promena son regard au loin.
Elle se rappela que la maîtresse du jeune homme s'inquiétait de savoir où il se trouvait à la nuit tombée. Et qu'il avait une puce intégrée à son collier de cuir. Si cette femme avait des soupçons, il lui serait facile de déjouer tous leurs plans. Il allait falloir jouer serré, et se montrer très prudent. Melyssandre reporta son regard sur Dagda. L'humain était étrangement silencieux, elle se demanda si la méfiance était toujours de mise de son côté. La jeune femme n'aurait su dire pourquoi mais elle faisait déjà confiance à cet homme. Il était vraiment différent de toutes les personnes qu'elle avait connu, principalement des immortels. Elle en avait apprécié certains, aimé quelques-uns, mais elle ne leur avait jamais totalement fait confiance. Etais-ce la nature humaine qui n'éveillait pas la méfiance ou Dagda était-il simplement différent, sans autre explication ? Peut-être était-elle simplement heureuse de rencontrer quelqu'un qui lui ressemblait tant à elle, et peut-être était-elle aussi un petit peu séduite par ce visage au regard tourmenté. Rien qu'un petit peu. Elle chassa cette pensée parasite et se tira avec effort de ces méditaions effrénées.

" Comment comptes-tu résoudre le problème de ton collier ? Il serait très facile pour ta maîtresse de te percer à jour. "

Elle balança doucement ses jambes dans le vide pour les désengourdir et se leva souplement.

" Quand dois-tu rentrer ? "

Melyssandre s'étira avec une grâce toute féline et s'approcha de l'humain assis non loin de là.

Avant qu'il ne put faire beaucoup de pas, la fille l'arrêta et lui parla de sa haine pour les immortel. Il baissa la tête et eut un sourire étrange. Il n'avait pas oublié qu'il avait besoin de leur aide pour rendre leur liberté à ceux de sa race et qu'il n'allait devoir faire d'autres concessions que de rendre également la liberté aux non humains. Mais ils ne feraient pas deux fois la même erreur. Pour pouvoir vivre enfin tranquille pour des générations à venir, il savait qu'il fallait éliminer définitivement toute menace. Et la menace, c'était eux : démons, anges et hybrides. Trois autres génocides suivraient l'assassinat des Maîtres. Mais il n'y avait pas besoin de le lui annoncer maintenant. Et il pouvait être franc d'une certaine manière :

"Je ne peux pas nier que je hais plus que tout les immortels. Mais je sais faire des compromis et tout comme pas mal d'humains peuvent être aussi détestables que les libres, pas mal de non humains peuvent être aussi agréables. Tu en es un exemple. Mais si ma haine s'affaiblit pour quelques personnes, elle reste aussi vivace pour le reste. Et ils paieront même l'amitié que je porte à certains de leur race. Ma haine n'est pas devenue un aveuglement mais un principe. Principe auquel je dois faire des concessions puisque je ne m'en sortirais pas seul."

Maât le regarda alors dans les yeux avec une telle intensité qu'il leva un peu la tête comme pour briser le lien. Amadäus baissa alors le regard, comme plongé dans ses pensées.

"Mieux vaut mourir d'une flamme que mourir consumé à petit feu ? C'est joli. Je ne l'avais jamais entendu avant. Même si j'imagine que chez les non humains, il doit révéler un sens différent. N'y aurait-il pas un rapport avec la lassitude de la vie ?"

Sa question n'était que rhétorique. Il se doutait bien que l'ennui était l'apanage des immortels qui, au bout d'un moment devaient certainement avoir l'impression d'avoir tout vu. Un long silence se passa. Amadäus jeta un coup d'oeil à Maât. Elle semblait plongée dans ses pensées. Il préféra se taire et contempla sereinement le paysage qui s'offrait à ses yeux. Le soleil de ce milieu d'après midi devenait plus agréable et jouait à cache-cache avec quelques nuages gris remplis de pluie qui venaient de l'océan, de l'autre côté de la forêt. Il faudrait qu'il aille faire un tour là bas prochainement. Au bout d'un moment de silence, Maât parla, lançant une unique phrase qui lui fit froid dans le dos. Il plaça ses mains entre ses cuisses serrées, baissant la tête et prononça d'une voix troublée :

"Merci."

C'était un remerciement de l'avoir proposé. Pas un remerciement d'acceptation. Il n'avait pas pu choisir ce jour là entre la mort et l'esclavage et aujourd'hui encore, bien des années après, il ne pouvait toujours pas. Il pouvait envisager de mourir en souffrance, contraint et forcé. Mais dans un moment de lucidité, il ne pouvait pas envisager d'abréger sa vie et de faire disparaître l'espoir. En plus, c'était contraire à sa religion, une de ces religions tant méprisées par les non humains. Maât parla alors de son collier. Amadäus porta la main à celui-ci d'un air surpris. Il l'avait oublié.

"Euhh... De me percer à jour ? Avec le collier ? Nan, je pense pas. Elle sait où je suis mais c'est tout. Et comme, je m'entraîne à connaître chaque détail et chaque recoin de la ville et que je me balade au gré de mon humeur un peu partout, il n'est absolument pas étrange que je puisse être sur le toit d'un immeuble pour une après midi. Je ne sais pas si il y a l'altimètre mais j'ai même déjà visité des égouts. C'est pourtant plus suspect que sur un toit."

La fille se rassit non loin de lui. Il ne l'avait pas vu se lever. Elle lui posa une dernière question. Pour y répondre, il tendit le doigt vers l'astre solaire.

"Regarde : j'ai le temps. Je n'ai pas d'horaire précis. Là aussi, j'essaie de ne pas lui donner d'habitudes. Il faut bien que je la dresse !"

Il partit d'un grand éclat de rire à l'idée de cette inversion des rôles. Puis une fois calmé, il lui répondit toujours un sourire aux lèvres.

"Oui, je sais bien qu'elle va être une de nos grandes contraintes. Mais pour moi, ce n'est pas le collier qui me fait peur, c'est son pouvoir. Elle peut faire ce qu'elle veut de mon corps mais j'ignore encore si elle peut me forcer à me faire avouer quelque chose. Soit par la parole soit en me demandant de la mener à un endroit. Il va falloir qu'on soit très prudents et très organisés pour éliminer tout risque d'infiltration et de traîtrise, volontaire ou non. Bon ! Ceci dit..."

Amadäus se releva de la corniche et s'éloigna un peu du bord préférant maintenant s'asseoir tranquillement et sans danger sur le toit.

"Fini la causette, il faut que nous mettions au point notre plan d'action. Pour l'instant, moi je vois quatre choses !", dit-il en lui tendant la main ouverte tous les doigts levés sauf le pouce replié, au fur et à mesure décomptant, "Primo, décider de comment on va agir ! Deuzio, décider du recrutement des membres. Tertio, de trouver comment s'organiser et se contacter entre nous !"

Il termina en regardant son index comme s'il s'agissait d'un objet étrange, accroché là au bout de sa main, comme un chiot regarde sa queue lorsqu'il la découvre.

"Mince, j'étais persuadé qu'il y en avait un quatrième..."

Melyssandre partit d'un rire cristallin. La façon désappointée dont l'humain fixait son index avait quelque chose d'irrésistiblement drôle. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas ri aussi franchement. Au bout d'un moment, elle reprit plus ou moins son sérieux.

" Laisse tranquille le quatrième, les trois premiers vont nous occuper suffisamment, et pour un bout de temps je pense. "

Comment allait-ils agir ? En fait, c'était ça la question cruciale... Il allait falloir se montrer assez discret pour ne pas attirer l'attention sur eux, mais faire assez de bruit pour provoquer quelques remous chez les immortels. Cependant, avant de songer à une action de plus grande ampleur, il allait falloir les affaiblir. L'hybride exprima tout haut ses pensées.

" Il va falloir les affaiblir, trouver des cibles clés et les éliminer avant de songer à aller plus loin. Dans l'état actuel des choses, ils sont trop puissants. Il faut les désorganiser et certains démons ou anges seront gênants car ils sont assez influents pour maintenir l'ordre parmi leurs semblables. C'est eux que nous devons supprimer les premiers. "

Oui, cela n'allait pas être une partie facile à jouer. Melyssandre avait l'habitude des petits jeux. Mais elle ne s'était jamais lancée dans un seul de cette ampleur, où elle engageait sa vie et son âme. Cette fois, la moindre erreur lui serait fatale et bien qu'elle soit lasse, la jeune femme ne comptait pas mourir de sitôt. Il allait falloir jouer serré, très serré. Un redoutable sourire étira un instant le coin de ses lèvres délicates. Elle avait enfin l'occasion de leur rendre la monnaie de leur pièce. Elle n'allait bien-sûr pas s'en priver.

Savourant à l'avance sa revanche sans pitié, elle se concentra sur les atouts que l'humain et elles avaient. Bon, lui commençait à connaître la ville comme sa poche: cela serait utile en cas de replis précipité. Et elle... Elle elle connaissait pas mal la sphère des immortels, du temps où elle en avait fait partie. Certaines choses avaient certainement du changer, mais elle connaissait pas mal le fonctionnement des immortels imbus, l'hybride savait donc parfaitement comment les atteindre, quels étaient leurs points faibles.

La jeune femme se retourna vers l'humain.

" Nous devrions choisir une cible un peu moins importante pour commencer et pour roder notre technique. "

Melyssandre parlait d'un ton détaché et froid, comme elle aurait parlé d'une partie de carte. Cet détermination farouche que l'on lisait dans ses yeux pouvait en glacer plus d'un. Seulement, la vie l'avait rendu comme cela. Lorsque l'hybride voulait quelque chose, elle savait que ça ne tomberait jamais du ciel. Alors elle ne comptait que sur elle, et ne pouvait pas se permettre de s'embarrasser de sentiments superflus. Le jour où elle leur laisserait libre cours, ce serait ce qui la mènerait à sa perte. Elle en était persuadée. Et elle écrasait ainsi à plus ou moins long terme quiconque se mettait en travers de son chemin. Les luttes successives la fatiguaient mais Melyssandre sortait grandie de chaque victoire, alors que ses défaites n'étaient que temporaires.

" A t'entendre, tu connais bien les recoins de cette ville. Cela nous sera utile. Je propose que l'on repère les alentours de la propriété de Monsieur Bremen, un ange qui trempe dans des affaires un peu louches de trafic de drogue. Mais ce n'est pas un très gros poisson. Juste ce qu'il faut pour commencer. "

Elle se demandait déjà comment elle allait le tuer... A l'arme blanche ou simplement avec ses pouvoirs ? Peut-être qu'avec ses pouvoirs, cela rendrait plus crédible la thèse du crime racial de la part d'un démon. Un humain n'en serait pas capable.

" Qu'en penses-tu ? "

"Un ange ? Oui, pas de problème, j'aime bien les anges, ils sont plus pratiques à tuer. Mais pour cette fois ci, je me préfère te laisser faire, j'ai hâte de voir tes prouesses."

Termina-t-il sur un grand sourire en tenant ses chevilles comme un petit enfant. Il prit un air un peu pensif et porta son index à ses lèvres et, levant les yeux au ciel, il reprit :

"Cependant, même s'il faut commencer à agir sans quoi on se perd dans des palabres à n'en plus finir, il ne faut pas non plus oublier de nous organiser et de préparer l'avenir. Nous devons voir à court, moyen et long terme. Il faut que si l'un de nous ou même plusieurs d'entre nous se font prendre, tuer ou simplement retenir ailleurs, notre action puisse continuer. Il faut que nous créions une synergie. Les trois points sont en fait indissociables les uns des autres. Il faut que nous créions un réseau à cellules ou quelque chose qui y ressemble. Il faut que chaque cellule soit indépendante des autres, que chacune puisse agir d'elle-même et recruter d'elle-même. Et en créer de nouvelles bien entendu. En leur donnant des instructions générales mais précises. Et un contact par un système de boite aux lettres mortes. Et il faut ..."

Amadäus regarda alors du coin de l'oeil sa comparse et en rougissant un peu, essaya de s'excuser ou de se justifier :

"Ahhh... Ca fait beaucoup de 'il faut, il faut', Hein ? Je... J'ai un peu l'habitude de ce genre de choses, en fait. Du temps où j'étais libre. Où les humains étaient libres. Mais je n'avais pas franchement pensé à un action comme celle que tu as dis "Tuer les types influents et trouver les cibles clefs". Comme quoi, c'est toujours bien de confronter les idées. Mais, je ne suis pas sur de comprendre. De quelle technique parlais-tu ? Une technique de chasse ? Et pourquoi as-tu choisi celui-là plutôt qu'un autre ? Tu connais ses pouvoirs ?"

Amadäus souffla un instant et se gratta l'arrière de la tête en s'excusant, tout à ses pensées d'action :

"Ahh... En fait, j'ai tellement de questions à te poser, de points à éclaircir ou à mettre au point, justement. Rien que pour les conditions de recrutement, comme tu en parlais tout à l'heure. Savoir qui choisir parce que beaucoup reculent. Même si je ne pense pas que ce soit forcément de la lâcheté. Par exemple, je vois trois conditions. trouver quelqu'un qui ait gardé son esprit de liberté. Qu'il soit d'accord avec l'idée de mourir torturé et dans l'idéal, vérifier sa capacité à tuer en lui donnant un libre que nous aurions capturé. A propos. T'as déjà tué, toi ?"

"Un ange ? Oui, pas de problème, j'aime bien les anges, ils sont plus pratiques à tuer. Mais pour cette fois ci, je me préfère te laisser faire, j'ai hâte de voir tes prouesses."

Des prouesses ? Elle ne l'avait jamais vu sous cet angle. Mais pourquoi pas ? La jeune femme haussa les épaules.

" Ce sera à toi de me dire si ce sont des prouesses. Mais je pense pouvoir me débrouiller en tout cas. "

Elle eut un sourire féroce malgré elle. L'hybride regarda l'humain, en ce moment, il avait l'air tellement innocent. Elle ne put pas croire cependant que ce fut vrai. Lorsqu'ils s'étaient rencontrés, un peu plus tôt dans la journée, elle avait vu un jeune esclave ombrageux et plein d'arrogance. Le contraste en était presque déstabilisant. Presque, mais il en fallait quand même plus que ça car dans sa longue vie, l'hybride avait eu le loisir de retrouver confrontée à nombre de choses étranges. Trop même. Dagda reprit la parole, il semblait penser tout haut.

S'ensuivit un flot de parole qui semblait suivre le rythme effréné des pensées de l'humain. Il était surtout question de l'organisation d'un réseau de partisans. L'humain semblait avoir une certaine expérience dans ce domaine là. L'hybride avait eu vent d'un groupe de rebelles qui avaient été défaits il y peu de temps. Enfin, peu de temps à son échelle, peut-être pas à celle de l'humain. En avait-il fait partie ? Elle croyait pourtant qu'ils avaient tous été exécutés. Mais elle était presque convaincue que Dagda avait été l'un d'entre eux car elle ne voyait pas comment l'organisation d'un mouvement dissident pouvait lui être si familière. ce n'était pas le genre de choses que l'on se plaisait à enseigner aux esclaves par ici.

"Ahhh... Ca fait beaucoup de 'il faut, il faut', Hein ? Je... J'ai un peu l'habitude de ce genre de choses, en fait. Du temps où j'étais libre. Où les humains étaient libres. Mais je n'avais pas franchement pensé à un action comme celle que tu as dis "Tuer les types influents et trouver les cibles clefs". Comme quoi, c'est toujours bien de confronter les idées. Mais, je ne suis pas sur de comprendre. De quelle technique parlais-tu ? Une technique de chasse ? Et pourquoi as-tu choisi celui-là plutôt qu'un autre ? Tu connais ses pouvoirs ? Ahh... En fait, j'ai tellement de questions à te poser, de points à éclaircir ou à mettre au point, justement. Rien que pour les conditions de recrutement, comme tu en parlais tout à l'heure. Savoir qui choisir parce que beaucoup reculent. Même si je ne pense pas que ce soit forcément de la lâcheté. Par exemple, je vois trois conditions. trouver quelqu'un qui ait gardé son esprit de liberté. Qu'il soit d'accord avec l'idée de mourir torturé et dans l'idéal, vérifier sa capacité à tuer en lui donnant un libre que nous aurions capturé. A propos. T'as déjà tué, toi ?"

L'humain venait de la conforter dans ses soupçons, il ne semblait pas pouvoir empêcher les mots de sortir de sa bouche, les questions s'y bousculaient. Melyssandre, elle, ne parlait pas tant que ça. En revanche, elle savait faire comprendre ce qu'elle pensait d'un simple regard, de l'éclat expressif de ses beaux yeux en amende. Quand elle le voulait seulement, le reste du temps son visage restait plus ou moins impassible.

" Oui, ça fait beaucoup de 'il faut' mais je crois que tu as raison, ils sont nécessaires. Seulement moi, je n'ai pas l'habitude. J'ai toujours agi seule, il n'y avait personne d'autre sur qui compter, mais personne d'autre à surveiller non plus. Il me reste donc tout à apprendre de ce côté là. Bon maintenant, je vais essayer de répondre à toutes tes questions. Et Dieu sait qu'elles sont nombreuses. "

L'hybride ne croyait pas réellement en Dieu, c'était juste une expression qu'elle avait fini par adopter et qui ne signifiait pas grand chose.

" Tout d'abord, pour ce qui est de la stratégie. Je pense que nous aurions tout intérêt à désorganiser la classe des libres avant de nous y frotter. Il est toujours plus difficile d'affronter un groupe soudé et bien organisé. Cependant certains immortels sont assez puissant pour étendre leur influence sur leurs semblable et assurer la cohésion de leur groupe. S'il n'y a pas de figure forte parmi eux, les libres s'entêteront à suivre chacun leur avis et se diviseront inévitablement. Cela nous faciliterait la tâche, nous avons donc tout intérêt à supprimer ces figures fortes. Qu'en penses-tu ? Pour ce qui est du recrutement, je suis d'accord avec toi. Mais pour mettre tout en place, tu es plus compétent que moi: tu sembles avoir l'expérience nécessaire alors que ce n'est pas mon cas."

Elle fit une courte pause pour laisser son interlocuteur réfléchir aux paroles qui venaient d'être prononcées.

" Ensuite, quand je parlais de technique, je voulais parler de notre mode opératoire. Ce que je te propose n'est ni plus ni moins qu'une série d'assassinats. Il faut nous mettre au point pour ne pas se faire prendre. Notamment savoir comment nous allons approcher notre cible et comment nous allons nous replier. Sans parler du plan B si il arrive un imprévu. Oui, c'est plus ou moins une technique de chasse si tu veux, mais d'un genre particulier. Quant à savoir pourquoi j'ai choisi cette personne, c'est parce qu'elle n'est pas trop difficile, ce qui nous laisse le droit à l'erreur, mais elle est aussi suffisamment protégée pour constituer un véritable test. Et oui, je connais son pouvoir: il peut faire apparaître l'objet qu'il désire entre ses mains. Ce sera donc une 'proie' des plus intéressantes pour commencer. "

Et il ne faisait pas bon d'être la proie de Melyssandre. Enfin, pour ce qui était de ses intentions meurtrières du moins. Pour le reste, c'était une autre histoire...

" Pour finir, oui il m'est déjà arrivé de tuer. "

Après le discours qu'il venait d'entendre, l'humain ne pouvait plus de toute façon en douter.

Amadäus se redressa, tenant toujours ses chevilles mais son visage s'était fait un peu plus grave et malfaisant. Il répliqua :

"Oui, bonne idée. Mais il ne faut pas oublier que si on ne cible que ceux-là, cela paraïtra trop organisé et on nous soupçonneras tout de suite. déguisons cela plutôt. Commençons par tuer quelques types plus ou moins pourris avec inscriptions racistes à la clef. J'y tiens à ça. Au mieux, il y aura quelques bagarres, quelques morts et un sentiment d'insécurité et au pire cela ne fera que brouiller les pistes. Bref, une vraie petit campagne politique, agiter les bonnes familles pour nettoyer ensuite tout ça au Kärcher. Et si, ô malheur !,"Il écarta les deux mains gravement mais rapidement prenant un ton théatral, "monsieur machin de la famille des Sept a été subitement abattu la gorge tranchée, on ne soupçonnera pas forcément les esclaves. On ne soupçonnera pas du tout les esclaves. Comme ça d'une pierre pas mal de coups. De coups de couteau bien sur..."

Il termina sur un sourire nettement diabolique regardant Maât par dessous. Il ferma les yeux reprenant un visage nettement plus avenant et continua comme s'il parlait de la pluie et du beau temps :

"Pour le mode opératoire et le plan B... Je t'avoue là par contre, que je n'avais jamais réfléchi comme ça. Les démons ne craignent pas souvent les humains. Surtout lorsqu'il ont l'air faibles et fatigués. Seulement, avec un pruneau dans la tronche ou un beau sourire sur la gorge, ils se rendaient compte un peu tard qu'on peut être dangereux. Je n'ai donc jamais eu de plan B. J'ai toujours fait ça... Sur le coup, quand la situation était bonne. En un contre un. C'est là le point important. Il faut qu'on aille soit chercher du un contre un soit le provoquer. C'est pour ça au début que je pensais pas à trouver des cibles charnières. Ca doit être protégé, ça. De toute façon, ton gars, là, il faut qu'on aille l'étudier de plus près. Voir la protection, ses habitudes, ses points faibles. Si ca se trouve, il se balade souvent dans des endroits où il y a des rebelles potentiels."

Il se figea un instant pendant un quart de microseconde et continua dans un grands sourire, une main allant tripoter la fermeture de son collier :

"Mais non, voyons ! Le mieux pour jouer aux cartes, c'est de garder un visage impassible. Ou même d'envoyer des faux signaux. Si jamais vous recevez une carte qui fait que vous avez un mauvais jeu, remettez de l'éargent sur la table ! Du pur bluff ! Et de temps à autre en cas de bon jeu faîtes la même chose ! essayez de varier pour obtenir la meilleur chance ! Le poker, c'est un jeu de vivants, les cartes sont qu'un prétexte ! De même, vous, j'ai souvent remarqué, si vous commandez un martini, framboise, vous mademoiselle, vos adversaires sauront tout de suite que vous avez un mauvais jeu ! Vous le faîtes toujours ! Quand vous êtes agacée, vous buvez pour avoir soif !"

Amadäus détourna alors les yeux, prenant un air surpris regardant un démon qui passait par là en volant bruyamment. L'humain le suivit d'un regard un petit peu coupable. Les jeux de cartes de hasard n'étant pas le mieux vu pour une dame qui devait être la fille de la famille qu'il servait.

Leur vision de la chose coïncidait pas mal. Le dessein de leur action à venir se précisait, prenait des couleurs. Il allait devenir écarlate sous peu. L'humain semblait reprendre son caractère farouche, cela était préférable. Il ne fallait pas avoir d'hésitation, les faibles n'avaient pas leur place dans la trame de leur projet. Le sourire diabolique qui déforma les lèvres de Dagda lui donna un air légèrement démoniaque. C'était d'une troublante ironie, pour quelqu'un qui détestait tant les immortels, mais qui n'était pas si différent d'eux au final.

Puis le jeune homme lui tint tout un discours sur les jeux de hasard, sur le poker. Où voulait-il en venir ? Bien-sûr qu'ils allaient jouer ensemble une belle partie de cartes, avec de grands adversaires. Mais cette partie là serait spéciale.

" C'est bel et bien une folle partie que nous allons disputer ensemble. Mais il faudra laisser le moins de place possible au hasard. C'est pour cela que je tiens à prévoir un plan de repli, mais nous aviserons une fois que nous aurons repérés les environs. Je pense que nous devrions l'attaquer chez lui, de nuit. Ce serait intéressant de déjouer son service de sécurité, pour éprouver nos capacités. Si je me souviens bien, sa chambre donne sur un balcon au deuxième étage. Il devrait être possible d'y grimper car il y a du lierre qui en orne la façade, voler manquerait certainement de discrétion... Enfin, j'espère que la plante y est toujours. "

En s'imaginant en train d'escalader le haut mur de l'enceinte de la noble demeure, puis sa propre façade, Melyssandre se dit qu'il lui fallait changer de tenue. La robe était décidément un mauvais plan dans ce cas là, non seulement ça manquait de discrétion mais c'était en plus extrêmement peu pratique.

" Bon. Je pense que nous avons suffisamment réfléchi, pour ce qui est de la constitution d'un réseau, nous aurons tout le temps d'aviser plus tard. Et si nous ne réussissons pas notre premier assassinat, ma foi, il ne nous sera plus nécessaire. "

C'était une éventualité comme une autre, l'échec. Seulement plus faible lorsqu'il s'agissait d'elle car elle le supportait très mal. La belle hybride se releva dans un bruissement de tissu, dos à l'humain, puis le regarda par-dessus son épaule que la robe blanche laissait découverte.

" Il est temps de descendre de ce toit. Il me faut une nouvelle tenue, je ne peux pas faire un travail sérieux attifée comme une bourgeoise. "

D'un mouvement souple, elle sauta à bas du toit, amortit sa chute de ses ailes déployées et se reçut souplement sur le sol. En attendant que l'humain la rejoigne, elle se demandait déjà où elle allait se rendre pour trouver de quoi se payer de nouvelles affaires. Certainement un lieu plein de passants où il ne serait pas difficile de dérober un porte-feuille bien garni. Ce ne serait pas la première fois...

Qui aurait pensé qu'elle en arriverait là ? Certainement pas elle. Mais elle voulait vivre, et ne s'encombrerait pas de scrupules pour y parvenir enfin.

Le démon intru s'était un peu éloigné et Maât repris la conversation en continuant sur le jeu. Amadäus fut un peu surpris. Elle n'avait pas compris que c'était uniquement pour faire diversion qu'il avait changé de conversation ? Certes maintenant, elle lui montrait que cela pouvait être compris d'une autre manière mais dans la hâte, il lui sortit la première chose qui lui passait par la tête. Et cela était resté sur la continuation de la comédie du marché. Mais dès que le démon sembla s'éloigner, elle repartit sur l'attaque. Il ne faisait qu'hocher la tête à ses dires. Il eut juste un sourire lorsqu'elle lui dit qu'il faudrait escalader. Finalement, leurs ailes n'étaient pas toujours utiles ! Il se sentit un peu plus content et fier encore - fier d'être humain, fier d'être ce qu'il était.

Il pensa cela quelques instants avant qu'elle ne se lève et ne saute par dessus le bord du toit sans aucune peur. Il se leva rapidement et alla voir ce qu'elle faisait. Joli. Il s'imagina un instant se laisser tomber dans les airs comme cela. Cela devait être enivrant. Avant, les humains pouvaient faire des sauts en parachute mais plus maintenant : les avions étaient devenus presque inutiles et les plaisirs des humains, mis à la trappe. Il se contenta donc de redescendre par les escaliers de secours. Arrivé en bas de l'échelle, il fit jouer de ses abdos et se laissa pendre dans le vide avant de se rattraper quelques mètres plus bas, plus lourdement que la fille. Il se releva. Il avait néanmoins ses talons et ses jambes qui lui faisaient mal. Il s'approcha d'elle en boitillant le moins possible -fierté oblige.

"Bon je te suis."