La capuche ou la vie

C'était un petit matin d'octobre, à l'aube. Les oiseaux comme les élèves se rassemblaient. Sauf que les premiers se préparaient à un long pèlerinage vers des cieux plus doux et les seconds se préparaient à une rude journée d'apprentissage pour aller combattre les leurs ou presque. Aloysius soupira et replongea ses pensées dans son travail. La veille, il était parti plus tôt pour essayer de voir sa fille et ses garçons. S'il avait bien vu les seconds, la première n'était pas là. Quelque part, ça le tracassait. Cela expliquait son mauvais sommeil du matin. Il s'était levé plus tôt et mit au travail plus tôt laissant Briquet dormir dans son lit. Il soupira. Elle était juste allée chez une copine lui avait dit ses frères. Cela le gênait quand même. Il avait bien prévenu de son arrivée pourtant. Il essaya de se rasséréner : elle était en pleine adolescence, elle avait dû avoir envie de voir autre chose qu'un vieux comme lui, fusse-t-il son père. Il en était un peu blessé tout de même mais ce raisonnement lui fit ramener sa concentration et il put travailler en paix.

"Alooooooy ! Je m'ennuie !"

Enfin, en paix, c'était vite dit. La froideur nouvelle du lit avait réveillé la bestiole qui était venue le rejoindre.

"Trouve toi quelque chose à faire."
"Mais quoii ?"

Aloysius leva les yeux au ciel, regarda autour de lui dans la caverne d'ali baba qui était son bureau -et oui, tous ces objets confisqués aux élèves !- et trouva rapidement ce qu'il cherchait. Il s'empara d'une bobine de ficelle et fut immédiatement interrompu :

"Non mais tu me prend pour un chat ou quoi ? Je refuse de me distraire avec ce futile artifice !"
"J'ai mieux que ça" fit-il en découpant un morceau de la bobine.
"Ah ?"
"Fais des nœuds là dedans."
"Tu rigoles ? J'ai des pattes au bout des membres, pas des mains, si tu n'avais pas remarqué en quarante ans."
"Bah, c'est toi qui vient de me dire que t'es pas un chat, démerde toi..." fit-il avec un sourire moqueur en laissant tomber la ficelle par terre.

En voyant cela, Briquet haussa le museau de dédain, puis fit glisser la ficelle avec sa patte jusque sous le bureau. Aloysius se remit tranquillement au travail et avec plus de silence qu'avant si on exceptait ses quelques grognements quand la ficelle lui échappait.


Un certain temps plus tard, on entendit soudainement des griffes racler contre le sol dans les couloirs suivi d'un grand éclat de rire espiègle. Au loin, on pouvait entendre un vague hurlement mais qui n'était plus qu'un murmure :

BRIQUEEEET !

Soudain, un dragon rose de la taille d'un chat déboula au coin du couloir. Il tournait la tête vers l'endroit d'où il venait et se moqua :

"Tu vois que je peux faire les nœuds !"

Il n'y avait aucune chance que l'auteur du hurlement puisse entendre la réponse mais cela avait l'air de suffire au machin rose. Il continuait à galoper dans le couloir, dépassa une paire de jambe qu'il regarda distraitement, fit quelques pas, tilta, stoppa en glissant, fit demi tour et revint en trottinant vers la paire de gambette avant de s'assoir à ses pieds et de dire avec un grand sourire :

"Je demande l'asile politique, tu m'aides ?"

Il était tôt, bien trop tôt pour des tas de jeunes étudiants encore un peu paresseux, qui n'avaient pas encore conscience du poids de la guerre pesant sur leur destin entaché de sang. Ils étaient nombreux, dans les jeunes années, à aborder Lindorm avec une insouciance d'étudiants.
Candel n'avait jamais été insouciant. Il n'avait jamais perdu de vue son destin. L'unique raison de sa présence en ces murs bruyants et bondés.

A présent, pour sa cinquième année, il avait en ce lieu pris ses marques et habitudes. De petits rituels. Comme celui de se lever aux aurores - ce n'était pas comme s'il dormait plus de trois heures par nuits de toute façon - pour s'entraîner, seul, près du lac. Parfois, lorsqu'il était d'humeur, il revenait près du terrain d'entraînement pour chercher des crosses à Aldo. Mais, ce matin-là, il s'était assez défoulé comme cela. De plus, son nouveau poison n'avait pas si bien fonctionné qu'il l'espérait et le lièvre que lui avait ramené Arkhaïl avait mis plus de huit minutes cinquante deux à agoniser. Inadmissible pour un poison censé être à effet immédiat et d'autant plus efficace, normalement, sur un petit animal que sur un homme de forte corpulence. Il lui faudrait reprendre toute une partie de ses recherches.

Une cape à capuchon rabattue sur sa tête pour se protéger de l'humidité de ce petit matin d'octobre, ses bottes montant jusqu'aux genoux claquant légèrement sur les dalles à l'heure où les étudiants commençaient lentement à envahir l'académie pour aller prendre un petit déjeuner substantiel, Candel entendit au cri lointain avant de voir débouler dans le couloir un... Machin rose. Un machin rose assez connu puisqu'il avait reconnu la douce et mélodieuse voix du vieux concierge. Habituellement, le petit dragon rose - ridicule - filait à ses affaires. Mais pas ce matin. Quelques élèvres avaient ris de le voir détaler. Mais ce fut dans les jambes de Candel qu'il s'empêtra, le Fulgere devant se stopper pour éviter de lui marcher dessus.

Candel n'étant pas exactement ce que l'on pouvait appeler un marrant, il n'avait guère la patience nécessaire pour les frasques d'une petite bête rose, toute draconienne qu'elle soit.
Alors quand la voix espiègle lui réclama l'asile, il se contenta de baisser sur la créature ses yeux noirs profondément enfoncés dans son visage crayeux, aux lourdes cernes, faisant glisser involontairement un peu plus son capuchon qui cacha un peu plus sa physionomie.

"Tu crois que je peux te l'accorder ?" Fit Candel de sa voix cassée et très rauque, traînant un peu sur les syllabes.

Attrapant d'un geste vif la petite bestiole par la peau du cou, il la tint fermement devant lui, éloignée de son corps - hors de question que ce truc salisse ses vêtements, d'une poigne solide malgré les protestations et mouvements du petit dragon si poétiquement nommé Briquet.

Quelques élèves de passage lui jetèrent un regard en chuchotant, mais il les ignora royalement, avançant jusqu'à la source du cri étouffé de tout à l'heure.
Le dragon rose s'agitait de plus belle alors qu'il se rapprochait du bureau du concierge d'un pas nonchalant. Mais Briquet avait visiblement de la ressource puisqu'il parvint à se retourner en sifflant comme un chat pour mordre la main qui le tenait de ses petites quenottes pointues, ayant l'effet escompté : Candel le lâcha vivement en secouant la main en grognant quelque chose entre ses dents qui ressemblait très fort à "c'est sur toi que je vais tester mon poison, sale bestiole."...

A peine Briquet eut-il entendu la question de l'élève qu'il sentit que quelque chose allait mal tourner. Et effectivement quelque chose tourna mal. Il eut beau s'être recroquevillé pour essayer d'échapper à la main celle-ci fut implacable et le souleva loin au dessus du sol. Cela dit l'altitude ne faisait pas vraiment peur à un dragon capable de voler -même s'il préférait se laisser porter par son maître. C'était plus la peau qui lui tirait qu'il n'appréciait pas. C'est ainsi que c'est au beau milieu de grognements, sifflements et autres meuglements comme :

"Lâchemoibipèdetum'faismal !"

qu'ils se dirigèrent petit à petit vers le bureau du concierge. Il y avait encore de la marge : ce n'était pas qu'ils étaient à l'exact opposé dans le château mais la voix se fit plus forte et toujours aussi colérique :

"BRIQUEEEEEEET !!"

A ce bruit, l'appelé paniqua et se démena jusqu'à mordre pour se libérer. Il ré atterrit sur ses pattes de justesse et regarda partout ailleurs pour éviter d'avoir à nouveau affaire à ce traitre et pour sauver sa petite peau rose. Seulement voilà, désormais, dans ce couloir là, ils étaient seuls, le cadavre ambulant et lui. Le reptile raté soupira de dépit, se planta en face du fulgere et annonça d'une voix sérieuse :

"Okay, Harfang, je vais oublier ce que tu m'as fait et on repart depuis le début. Cache moi et... Je m'arrange pour faire coller Aldo pendant, disons ... Une heure !"

Depuis quatre ans qu'ils surveillaient les deux là, il savait que cette proposition pouvait l'intéresser hautement.

"Et décide toi vite, il se rapproche !"

En effet au loin, amené par l'écho des vieilles pierres de l'académie on entendait quelqu'un approcher rapidement.

Le petit dragon ne perdait pas le nord. Visiblement, il était bien décidé à le mettre à contribution pour que le concierge ne le trouve pas tout de suite. Il y avait peu de chance qu'il parvienne à cacher Briquet très longtemps, Aloysius avait visiblement une excellente vue pour son âge, assez pour renifler une infraction au règlement à un bon kilomètre à la ronde.
De dessous sa capuche, les yeux cernés de noir suivaient des yeux cette insupportable bestiole rose dont les crocs avaient laissés sur sa main blafarde plusieurs points de sang qui formaient une jolie marque de mâchoire dont il ne soucia guère.

"Ben tu vois, quand tu veux, tu sais être convainquant." Fit le Fulgere en esquissant un sourire torve de sa voix traînante. Il n'y avait pas cinquante manières pour lui de cacher le petit dragon : sa cape à capuchon ferait l'affaire. Le problème était que cela signifiait avoir cette... Chose draconienne rose en contact avec lui. De nouveau, il se baissa pour attraper le dragon par la peau du dos, ayant ôté sa capuche le temps de poser le dragon sur sa tête. Grommelant entre ses dents alors qu'il rabattait le tissus noir retenu d'une broche cuivrée sertie d'une opale rouge, il sentit les pattes de briquet glisser dans ses cheveux emmêlés alors qu'il se positionnait dans son cou, dans l'ombre de son capuchon.

"Et t'as intérêt à tenir ta parole..." Siffla-t-il entre ses dents alors qu'il se préparait à faire demi-tour, s'éloignant des cris d'Aloysius d'un pas nonchalant, baillant largement des suites de ses test matinaux. Sortant une barre de céréales de sa poche intérieure, il défit l'emballage et mordit dedans une petite bouchée en guise de petit déjeuner.
Il espérait que Briquet en aurait bientôt assez de se cacher. Mais il gardait son allure apathique habituelle. Inutile de se presser, il entendait le pas du concierge dans son dos. Nul doute qu'il le rejoindrait bien vite...

Briquet grommela alors qu'il sentit ENCORE la main l'attraper. Mais qu'est-ce qu'il croyait l'autre ? Qu'il ne pouvait pas voler jusqu'à son cou ? ou qu'il n'était pas capable de grimper le long de sa jambe jusqu'à ses épaules ? Bon, il n'avait pas trop le temps de protester. La capuche se rabattit sur lui et ses griffes se sortirent un peu pour tenir dans cette position. Le fulgere ne devrait normalement pas trop se sentir mal à l'aise : il ne pesait pas bien lourd et en tant que dragon de feu, il avait toujours eu une température corporelle plus élevée que les autres races de dragon. Sauf qu'habituellement les écailles faisaient barrière de chaleur. Là, le cinquième année pouvait parfaitement sentir ses quarante cinq degrés contre sa peau nue. Il entendit son moyen de transport lui cracher de tenir parole. Il fut facile de lui répondre :

"Tais-toi ! Il arrive !"

Il essaya de rester immobile mais il ne put s'empêcher d'avaler sa salive alors qu'il entendait son allié rugir :

"BRIQUEEEEEEEEEEEEET !"

Cette fois la voix était toute proche. On entendit des pas et le concierge déboula au coin du couloir. Il fulminait, courait à grands pas, le balais dans les deux mains, si haut levé qu'il aurait pu essuyer le plafond et surtout prêt à abattre sur le premier briquet qu'il rencontrait. Il y avait un détail particulier : le vieil homme courait à grands pas en chaussettes ! On pouvait même distinguer un début de trou dans la laine au gros orteil droit. Aloysius passa en sixième vitesse le cinquième année en hurlant pour la quatrième fois le nom de son dragon qu'il étriperait avec grand plaisir en trois coups de cuiller à pot s'il le rencontrait dans les deux heures ou même dans une seule minute. Il les dépassa en trombe.

L'étudiant paraissait parfaitement à l'aise, à peine surpris par la présence d'Aloysius. Il portait même une barre de céréale à sa bouche. Sauf que ce geste lui fit pivoter l'épaule, déséquilibra le dragon qui tomba à terre sans pouvoir se retenir. Il avait les ailes empêtrées dans la capuche. Il se retrouva au sol sans pouvoir échapper un petit cri de surprise face au choc. Il se retourna et vit le concierge qui en faisait de même. Son premier réflexe fut de s'enfuir à toutes pattes. Le vieil homme avait déjà fait demi tour. La course était inégale : avant la fin du couloir, la paille du balai retomba sur le dragon qui en fut fortement ralenti et le vieil homme sauta pour faire un placage en règle à son animal, l'attrapant entre ses bras. Ce dernier se releva, tenant le dragon face à lui, à bout de bras :

"Je te tiens, vaurien, sacripant !"

C'est alors que le dragon prouva qu'il en était bien un : il cracha un jet de flammes sur le visage de son maître et détala dans le couloir sans attendre. Sous la surprise, l'humain avait lâché sa proie et reculé. Il attrapa ses lunettes et hurla à nouveau lorsqu'il les vit en train de fondre.

"BRIQUEEEEEEEEET !!!"

Il passa le pied sous le manche de son balai et celui ci fut propulsé en l'air avec plus de facilité qu'on aurait pu croire venant d'un homme de cet âge. Sa colère semblait devenir aussi froide que la flamme avait été chaude. Il regarda autour de lui et redécouvrit l'étudiant fulgere. Il s'approcha à grands pas vers lui.

"Harfang, j'ai besoin d'un rabatteur. Tu files par ce couloir pour me le diriger vers celui-là." en désignant les susmentionnés couloirs de la main.

Il se retourna vers l'étudiant. Ce n'était pas pour attendre son assentiment, c'était plutôt un ordre qu'il lui avait lancé, mais plutôt pour vérifier qu'il commence bien à faire ce qu'il lui avait dit de faire.

fin avortée